dimanche 7 décembre 2014

J. Allan HOBSON. Critiques des conceptions psychanalytiques sur le rêve.










« Alors que la majorité des psychanalystes modernes sont d’accord pour penser que les concepts d’énergie avancés par Freud sont dépassés et doivent être écartés, bien peu se rendent compte quel coup pareille démarche porte à l’aspect informatif de la théorie. Un aspect important du raisonnement de Freud est l’étroite imbrication des parties constituantes, de sorte que, si l’on touche à l’une d’elles, d’autres en sont affectées – c’est, en général, une caractéristiques de la pensée rationnelle.

Les trois concepts suivants, tirés de la vieille neurobiologie de Freud, ont déterminé sa théorie du rêve :

- La source d’énergie. Pour Freud, dans le système nerveux, toute l’énergie provient de l’extérieur ; il n’y a pas de source interne – ce qui revient à considérer le système nerveux uniquement en termes d’actes réflexes, comme un système n’opérant que sous l’action de forces extérieures et ne créant pas sa propre action. Ces notions erronées interdisent à Freud de reconnaître que le système peut avoir des rythmes intrinsèques et des phases séquentielles d’activité, les uns et les autres programmés et régulés de manière interne. Il y a là une lacune étonnante, d’autant plus que Freud connaissait bien les théories de son collègue Wilhelm Fliess, qui attribue maint phénomène psychique à l’action des rythmes biologiques ;

- Le flux d’énergie. Pour Freud, non seulement le système nerveux est incapable de créer sa propre énergie, mais, quand il en reçoit de l’extérieur, il ne peut la dissiper que par une décharge motrice. Cette erreur est liée chez Freud à son incapacité à prendre en compte la notion d’inhibition, alors en train d’émerger ;

- La transmission de l’énergie. Pour Freud, l’énergie que le système nerveux reçoit du monde extérieur reste inchangée en qualité et  quantité ; il n’y a pas de transduction de l’énergie externe (ou de l’information) aux entrées périphériques du système nerveux.

Ces trois concepts interconnectés donnent l’image d’un système nerveux (et de l’activité mentale dont il est le support) totalement dépendant de l’énergie et de l’information d’une source externe. Un tel système est aussi vulnérable que dépendant, car il peut être envahi par de grandes sources d’énergie venant du monde extérieur, et il est constamment menacé de perturbation par l’énergie stockée à l’intérieur dont il ne peut se débarrasser que dans l’action motrice. Ces idées cristallisent dans le concept d’inconscient dynamiquement réprimé et son transportée dans la théorie du rêve en tant que tendance des désirs inconscients à resurgir durant le sommeil, quand les forces répressives de l’ego sont relâchées. Ce système nerveux a constamment besoin de vérifications et de rééquilibrages pour faire face aux risques de bouleversements d’origine interne ou externe, et tout le concept de défense psychique de Freud est rattaché à cette vision erronée du fonctionnement réel du système nerveux. Je ne dis pas que le concept de défense soit faux en lui-même, mais j’affirme que sa justification théorique et l’importance qu’on y attache sont, l’une et l’autre, excessives. Si le système possède ses propres moyens de production d’énergie, il y a des chances pour qu’il possède aussi ses propres moyens de régulation de l’énergie. S’il possède ses propres moyens de créer de l’information, il y a des chances pour qu’il ait aussi ses propres moyens de régulation de l’information. Et, s’il est protégé, à chaque entrée sensorielle, par des mécanismes de transduction, il est intrinsèquement à l’abri de surcharges provenant de l’extérieur. Cette propriété est particulièrement évidente chez les nouveau-nés humains, qui « décrochent », tout simplement, quand ils se sentent surchargés ou qu’ils ne sont pas disposés à réagir aux stimulations externes.

Outre les bonnes et belles raisons intellectuelles pour laisser tomber son Esquisse d’une psychologie scientifique, Freud avait des raisons importantes, d’ordre stratégico-historique et même économique, pour vouloir dissimuler l’influence de ce travail. Parmi ces raisons, il y avait le désir de donner une allure de nouveauté à L’interprétation des rêves – et à toute la pensée psychanalytique ultérieure. Et cette allure de nouveauté devait être purement psychologique et catégoriquement indépendante de la neurobiologie. C’était la seule manière de mettre la théorie des rêves à l’abri de  l’accusation de réductionnisme, et de l’immuniser contre tout renversement venu des découvertes de la neurobiologie. En même temps, Freud réaffirmait constamment son espoir qu’un jour on trouverait les bases neurobiologiques des phénomènes qu’il avait « découverts ».

Il est aujourd’hui bien établi que Freud se donna beaucoup de mal pour dissimuler que sa psychologie découlait de la neurobiologie. Les manœuvres de Freud pour effacer les traces de la période de transition de son existence sont relatées en détail par l’historien Frank Sulloway dans un livre important : Freud, biologiste du cerveau (1979). Selon Sulloway, c’est la tendance de Freud à bâtir des mythes, même sur son propre compte, qui l’a conduit à adopter une position de quasi-héros, développant ses théories d’une manière complètement indépendante – et sans le soutien des penseurs de son époque. Il y a donc une analogie entre le désir de Freud que sa théorie ne paraisse pas issue de la neurobiologie et le désir qu’elle ne semble pas empruntée à Fliess. Tant que la psychanalyse pouvait être considérée comme une théorie psychologique indépendante, on ne pouvait la tester par aucun moyen. Cet isolement intellectuel est l’une des raisons majeures pour lesquelles la théorie a si peu changé au cours des décennies – contrairement  à la neurobiologie qui a connu des développements fondamentaux dans le même laps de temps. En méditant sur le statisme de la psychanalyse comparé à l’extraordinaire dynamisme de la neurobiologie, j’ai le sentiment que la théorie psychanalytique du rêve se languit (…) de la perte de la neurobiologie (laquelle avait commencé par jeter un charme sur la théorie du rêve pour l’endormir). »


(In : J. Allan HOBSON. « Le cerveau rêvant ». Editions Gallimard, Paris, 1992, pages : 89 – 91).







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