dimanche 7 décembre 2014

J. Allan HOBSON. Sur les fonctions spécifiques du rêve.





« Théorie concernant des fonctions spécifiques. »


Capacités créatives.

Pendant le sommeil paradoxal, le cerveau et l’esprit semblent être engagés dans un processus de création fantastique. Il est évident qu’on ne se contente pas de revivre en rêve les expériences déjà faites, mais qu’on en fabrique, au contraire, d’entièrement nouvelles. On peut donc s’attendre à voir surgir dans les rêves de nouvelles idées, de nouveaux sentiments, de nouveaux points de vue  sur de vieux problèmes. Tout cela peut passer dans l’esprit conscient ou bien rester inconscient, devenir un élément plus profond que notre répertoire créatif. On touche à l’apogée des nouvelles théories sur la fonction positive du sommeil paradoxal, théorie qui reconnaît que notre système nerveux n’est pas une simple machine à recopier. S’il est vrai que notre système nerveux a besoin des informations extérieures pour se faire une image du monde, il est clair également qu’il utilise ces informations pour se faire des images du monde en fonction desquelles il puisse tester la réalité.

Le cerveau de tout un chacun est donc, fondamentalement, artiste. Nous le savons déjà quand nous voyons les dessins d’enfants, mais nous avons tendance à le sous-estimer dans notre moi adulte. Nous sommes tellement conditionnés socialement à accepter notre rôle vigile que nous ne sommes plus capables de reconnaître dans nos rêves cette manifestation évidente des aptitudes créatrices qui se trouvent en chacun de nous. Chacun de nous est un surréaliste la nuit, quand il rêve : chacun est Picasso, Dali ou Fellini – mélangeant pleinement le délicieux et le macabre.


L’expérience du rêve.

Pourquoi les rêves n’inclueraient-ils pas dans leurs fonctions celle d’être distrayants ? Pourquoi nous faut-il toujours fourrager en tout sens dans la cale pour comprendre, et cela seulement par dérivation, le but de ces films délicieux, faits maison ?

Pourquoi ne pouvons-nous pas accepter la fonction autocréatrice des rêves, comme une chose qui  nous est donnée pour notre plaisir ? Et cette augmentation de notre plaisir – et de notre propre estime – ne pourrait-elle contribuer à améliorer notre fonctionnement en tant qu’êtres humains ? A toutes ces questions l’éthique puritaine – saturée maintenant d’autorité néojudaïque – répond : non ! Il faut que  nous nous débarrassions de nos rêves par la confession ou l’analyse pour être assainis.

Mais quiconque a tenu un journal de ses rêves comprendra cette fonction ludique, grâce au plaisir de sybarite qu’il y prend. Les rêves sont vraiment merveilleux. Pourquoi ne pas en jouir, tout simplement ? C’est à cette tradition du plaisir onirique qu’appartient le travail d’Hervey de Saint-Denys et de ses successeurs, qui tentaient l’expérience de la lucidité dans le rêve. En utilisant leurs techniques, nous parvenons non seulement à apprécier les rêves comme ils nous viennent, mais nous entrons activement dans l’expérience onirique. Nous pouvons en améliorer la mémorisation, et même en changer l’intrigue pour qu’elle soit plus agréable. Ainsi, tout en continuant à les utiliser en psychothérapie, reconnaissons que les rêves sont plastiques autant que surdéterminés. Il me semble irrévérencieux et inapproprié de réduire cette fonction plaisante des rêves à dériver des instincts. Le rêve peut refléter l’instinct, mais il reflète aussi la créativité de l’imagination : l’un et l’autre servent la science ainsi que l’art.


Théorie sur la nature humaine.

Et voici pour terminer ce chapitre, très spéculatif, une suggestion encore plus facétieuse : le rêve, qui mérite une participation joyeuse, a de plus pour fonction de nous fournir l’occasion de mieux nous connaître. Ainsi considéré, le rêve n’est après tout qu’un message des dieux, dans le sens le plus prophétique. La corrélation entre le sommeil paradoxal et le rêve qui magnifie certaines fonctions du cerveau et de l’esprit, et démontre la relation qui existe entre l’un et l’autre, est en elle-même une information extraordinaire. La découverte du sommeil paradoxal et de sa relation au rêve a donc un impact sur les théories concernant la nature humaine.

Le passage de la perspective psychanalytique, pour laquelle tout comportement humain dérive d’un petit nombre d’instincts simples, à une vision plus réaliste de ce comportement, fondé sur une vie instinctuelle à laquelle il ne peut cependant pas être réduit, nous fournit une base naturaliste pour un humanisme plus riche. La recherche moderne sur le sommeil et le rêve nous permet d’imaginer un nouveau modèle de machine pour représenter l’homme : le cerveau y est considéré comme plus qu’un appareil à réflexes ; et l’esprit cesse d’être totalement enserré dans l’instinct. Parce qu’un tel système peut être maîtrisé, il peut ainsi être fourvoyé. Parce qu’il possède un aspect aléatoire, il est sujet à l’erreur. Et, pour cette même raison, il est aussi capable d’imagination – allant jusqu’à se comprendre lui-même.


Conclusion.

Quels que soient les problèmes méthodologiques généraux que nous ayons rencontrés dans la détermination des fonctions du sommeil, nous sommes quand même allés au-delà des essais précédents qui tendaient à considérer les différentes fonctions possibles comme exclusives les unes des autres, au lieu de voir qu’elles peuvent se renforcer mutuellement. Pour comprendre les fonctions du sommeil, probablement multiples et probablement positives, il faudra encore beaucoup d’études détaillées sur les mécanismes spécifiques, cellulaires et moléculaires du cerveau pendant les séquences complexes des états du sommeil ; nous pouvons néanmoins, en considérant les modèles d’interaction réciproque et d’activation-synthèse, tirer les conclusions suivantes : 

1. On a montré qu’il existe un groupe de cellules, les neurones aminergiques du tronc cérébral – liés à l’attention et à la mémoire - , qui se reposent effectivement pendant le sommeil, en particulier pendant le sommeil paradoxal, alors que la plupart des cellules du cerveau ne se reposent pas. 

2. Pendant que les cellules aminergiques se reposent, les neurones sensori-moteurs sont désinhibés, ce qui provoque leurs déclenchement sur un mode qui fournit un programme pour l’entretien actif de nombre de circuits cérébraux. 

3. Un tel programme d’entretien actif est significatif pour le développement : non seulement il assure la continuité de la fonction, mais il peut aussi modifier les capacités fonctionnelles par ses effets trophiques sur les actions programmées.

4. Il est possible, d’imaginer que le sommeil, et surtout le sommeil paradoxal, puisse, en partant du niveau des réflexes, fournir les moyens de convenir un programme génétique nécessairement limité en un programme fonctionnel permettant de développer les schémas d’actions prédéterminés qui sous-tendent des comportements cruciaux. 

5. Les aspects actifs de la physiologie du cerveau pendant le sommeil paradoxal nous permettent de postuler que certaines phases du cerveau d’apprentissage – telles la consolidation des traces dans la mémoire et la comparaison des informations nouvelles et anciennes – peuvent avoir lieu pendant le sommeil. 

6. En poussant cette idée un peu plus loin, on peut supposer que le cerveau est, en fait, créatif pendant le sommeil. Il peut surgir de nouvelles idées, de nouvelles solutions à de vieux problèmes prenant forme, consciemment ou inconsciemment. 

7. Puisque les rêves se produisent peut-être, en partie, pour nous amuser, nous devrions au moins essayer d’en profiter. 

8. Le rêve dans sa relation au sommeil paradoxal nous fournit un miroir remarquable de notre état interne.

Vers un cerveau-esprit unifié.

Après trente années d’efforts scientifiques intenses, des controverses divisent toujours les chercheurs sur le sommeil et le rêve. Les psychologues et les psychiatres accusent les physiologistes de réductionnisme, et les physiologistes les accusent, en retour, de dualisme et de mysticisme. Il serait tentant, dans ces conditions, de conclure qu’on n’a pas appris grand-chose ; mais ce serait une erreur. On a beaucoup appris, et le domaine est encore riche de promesses.

Et nous ne devons pas nous retirer de ces joutes, mais regarder de plus près la raison profonde de leur existence. Elles proviennent de la représentation encore obscure et inadéquate de l’esprit humain. Cette bataille pour l’esprit ne sera pas plus facilement gagnée par les forces du matérialisme pur que par celles de l’idéalisme pur – et peut-être bien, comme on l’entrevoit aujourd’hui, qu’il n’y aura pas de vainqueur.

Une image claire et correcte n’émergera que par une ample et progressive extension – vers le haut – de la connaissance matérialiste au domaine du traitement de l’information, qui mette à nu la nature du cerveau-esprit : celle d’un circuit ouvert, créatif et à niveaux multiples. La psychologie doit, simultanément, devenir beaucoup plus détaillée, plus claire et plus précise, pour pouvoir s’ajuster – vers le bas – aux schémas des structures matérielles et dynamiques. Je crois que l’étude des rêves est en train de progresser, simultanément, dans les deux directions. »


(J. Allan HOBSON. « Le cerveau rêvant ». Editions Gallimard, Paris, 1988, pages : 367 – 371).



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Les années 2020 seront celles de l'avènement d'une nouvelle forme de totalitarisme : le totalitarisme sophistiqué dont l'un des traits les plus marquants est cette lutte, cette haine tout à fait scandaleuse et révoltante contre la liberté d'expression, via un combat acharné contre ce qui est nommé le "conspirationnisme" ou le "complotisme".

Les années 2020 seront sans doute identifiées dans l'Histoire comme une "période charnière" entre la fin d'un "ancien monde" et la naissance d'un "nouveau" dont les prémices se révèlent de plus en plus menaçants pour les libertés individuelles.

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