mercredi 31 décembre 2014

Karl POPPER. Le problème de la démarcation entre science et métaphysique.







Le problème de la démarcation, ou « problème de Kant » :


Pour Popper, le problème fondamental en philosophie des sciences est celui de la démarcation : c'est la question de la distinction entre ce qui relève de la science et de la métaphysique (et non, comme on a trop souvent tendance à le croire, entre ce qui pourrait de prime abord distinguer la science de la pseudo science. La démarcation qui renvoie au critère de réfutabilité de Popper, ne peut par exemple être un critère permettant d'identifier l'honnêteté ou la mauvaise foi chez les scientifiques. C'est peut-être le refus conscient d'admettre des réfutations ou des corroborations reconnues par une communauté de chercheurs qui peut relever de la mauvaise foi ou de la malhonnêteté intellectuelle).

Dans son livre intitulé « Les deux problèmes fondamentaux de la théorie de la connaissance », Popper explique que le problème de la démarcation est également identifiable au « problème de Kant » auquel il prétend apporter une solution originale, tout comme pour le problème de l'induction, nommé « problème de Hume ».

Le célèbre critère de démarcation proposé par Karl Popper en 1934, provient de son invalidation de la doctrine de l'induction, en proposant  une solution au problème de l'induction, laquelle consiste à démontrer, qu'il n'y a tout simplement pas d'induction, ou que l'induction n'est qu'un mythe. Selon Popper, jamais aucune connaissance objective ou scientifique, n'a pu se développer sur la base de la méthode inductive. L'esprit humain ne peut apprendre à partir de l'induction.

Cette doctrine [l'induction] était notamment défendue par les philosophes positivistes du cercle de Vienne, tels Rudolf Carnap, Moritz Schlick, Ludwig Wittgenstein, cercle au sein duquel Popper était admis comme étant « l'opposition officielle ». Le projet du cercle de Vienne était d'éliminer entièrement la métaphysique, ou, plus exactement d'extirper de la Science tous les énoncés métaphysiques lesquels étaient considérés comme « vides de sens ». Les membres du cercle admettaient que seuls les énoncés vérifiables par les « données des sens », (les énoncés singuliers portant sur la réalité, « énoncés atomiques ») avaient une signification utile pour la science et l'édification des lois universelles, à partir d'eux, par des procédures inductives. La vérifiabilité des lois universelles, à partir des énoncés atomiques, était le critère de démarcation positiviste qui devait permettre de trancher entre science et métaphysique, tout en éliminant complètement la métaphysique de toute entreprise scientifique.

L'erreur commise par le cercle de Vienne consiste donc à considérer les énoncés universels au sens strict, comme métaphysiques, parce que « vides de sens » du fait de l'impossibilité logique de les vérifier empiriquement. Paradoxalement, les lois générales qui devaient être vérifiées selon une procédure inductive de vérifications d'énoncés atomiques devaient donc être exclues de la science.

Parce que ces énoncés sont non vérifiables, ils étaient aussi appelés de « pseudo-énoncés » par les membres du cercle de Vienne. On remarquera pourtant la position tout à fait similaire entre Popper et ses adversaires sur le statut logique des énoncés universels stricts : ils sont invérifiables avec certitude. Mais la différence fondamentale et qui met définitivement Popper à distance du positivisme est qu'il remarque que certes, ces énoncés ne sont pas vérifiables même par un nombre illimité d'énoncés atomiques, mais réfutables par un seul d'entre eux qui puisse entrer en contradiction. Par cette voie, Karl Popper proposera son principe d'asymétrie entre vérification et falsification.

Il est à préciser que Karl Popper adoptera une position plus nuancée vis-à-vis du statut de la métaphysique dans les sciences empiriques. En effet, il était d'accord, dans l'absolu, avec l'idée que l'une des tâches importantes de toute science empirique était de remplacer progressivement ses énoncés métaphysiques par des lois universelles corroborées par des tests, et accordait une certaine valeur à la métaphysique arguant du fait que l'histoire des sciences empiriques montrerait qu'elles sont « presque toujours sorties du giron de la métaphysique » et que « le point de vue selon lequel la métaphysique devrait être éliminée comme « non scientifique » est lui-même expressément contesté par de nombreux représentants de ces sciences » [1]. Cependant il fallait trouver une solution au problème de la démarcation lequel pouvait être formulé à partir de quelques questions :

- « Qu'entend-on exactement par ces expressions de métaphysique et de science empirique ? »
- « Peut-on ici, en général, établir des distinctions rigoureuses, des limites précises ? » [2].

La réponse que donne Popper à ce problème est que « la théorie de la connaissance doit établir un critère rigoureux et universellement applicable permettant de distinguer les propositions des sciences empiriques des assertions métaphysiques (critère de démarcation). » [3].

Pour Karl Popper, l'induction, (dont les problèmes insurmontables auraient, selon lui, été bien mis en évidence par David Hume) comme méthode scientifique, n'est donc qu'un mythe. Il pense qu'aucune loi scientifique n'a jamais pu être  ni établie, ni même justifiée par une procédure inductive, et qu'une telle croyance repose toute entière sur une version erronée de la théorie de la connaissance s'apparentant à celle du sens commun.

Il soutient, de façon répétée dans toute son œuvre, qu'il n'y a pas d'induction à proprement parler, puisque toute observation est précédée par une théorie générale et sélective, et parce que toute justification d'un principe d'induction sombre irrémédiablement dans la régression à l'infini ; parce que, explique Popper, « pour le justifier, nous devrions pratiquer des inférences inductives [il serait particulièrement contradictoire qu'un inductiviste ait recours à des procédures déductives pour justifier son principe d'induction] et pour justifier ces dernières nous devrions assumer un principe inductif d'un ordre supérieur et ainsi de suite. La tentative visant à fonder le principe d'induction sur l'expertise échoue donc puisque celle-ci doit conduire à une régression à l'infini ». [4].

Il ne sert donc à rien de collectionner des milliers ou des millions d'observations de cygnes blancs pour affirmer la vérification (au sens de la "vérité certaine") de la théorie universelle « tous les cygnes sont blancs ». Ce genre de théorie n'étant pas limitée dans le temps, il est toujours logiquement possible qu'elle soit réfutée par l'observation d'un cygne non blanc.

Selon « La logique de la découverte scientifique » de Popper, une loi scientifique n'est donc pas une loi vérifiée - ni même vérifiable par l'expérience - mais une loi réfutable (ou falsifiable) dont la réfutation reste toujours logiquement possible. Il affirme que toutes les lois scientifiques universelles ont obligatoirement la forme logique d'énoncés universels au sens strict non vérifiables avec certitude mais par contre réfutables (et non d'énoncés universels au sens numérique ou d'énoncés singuliers portant sur la réalité, lesquels peuvent être vérifiés).

Cependant, et malgré les nombreuses incompréhensions de ses détracteurs, Popper a toujours soutenu et expliqué son point de vue selon lequel aucune falsification ne peut être concluante, tout reposant, in fine sur les décisions méthodologiques des chercheurs. C'est la raison pour laquelle Popper estime que son critère de démarcation, doit se comprendre comme un critère méthodologique de démarcation.

Les propositions qui annoncent l'existence de faits, sans préciser de coordonnées spatio-temporelles, sont appelées, par Popper, des énoncés existentiels au sens strict (exemple : « il y a ou il existe des créatures vivant sur Mars » ; ou bien : « il y a l'inconscient refoulé »). Les énoncés à propos de tous [les événements logiquement compatibles avec une théorie universelle], mais qui ne précisent pas de conditions initiales d'observation, sont nommés énoncés universels au sens strict [5] (Exemple : « tous les requins tigres ont des dents en forme de crête de coq »).

- Les énoncés existentiels au sens strict ne peuvent être falsifiés, mais sont toujours potentiellement vérifiables. Pour cette raison, Popper les considère comme non-empiriques ou métaphysiques ce qui implique qu'ils ne possèdent aucune valeur informative, (comme les tautologies). En effet, Popper explique que nous ne pouvons pas examiner avec minutie le monde entier afin d'établir que quelque chose n'existe pas, n'a jamais existé et n'existera jamais [6].

- Les énoncés universels au sens strict, parce qu'ils ne se réfèrent pas à une région spatio-temporelle limitée, ne sont pas vérifiables, car nous ne pouvons pas non plus examiner le monde entier pour nous assurer que rien n'existe qui soit exclu par la loi [7]. Par contre, les énoncés universels au sens strict, s'ils ne sont donc pas logiquement vérifiables, sont logiquement falsifiables par la confirmation expérimentale de falsificateurs virtuels acceptés par la communauté scientifique [par décision méthodologique] comme pouvant faire l'objet de tests intersubjectifs afin de tenter de corroborer une théorie ainsi mise à l'épreuve.

Popper en vient donc à émettre le principe d'asymétrie entre vérifiabilité et falsifiabilité, avec comme conséquence, la falsifiabilité unilatérale des énoncés de la science empirique [8].

C'est donc la démarche par « conjectures et réfutations », qui soit la seule valide selon Popper, pour l'accroissement des connaissances scientifiques. 

Le critère de falsifiabilité : 

Il peut être ainsi formulé : « si on entend par énoncé un simple un rapport d'observation, nous pouvons dire qu'une théorie est scientifique si elle divise sa base empirique (la classe de tous les énoncés de base possibles) en deux sous-classes, dont une est composée de falsificateurs virtuels, seuls énoncés capables d'en révéler les limites, donc le contenu empirique. Il faut obligatoirement que la sous-classe des falsificateurs virtuels soit non-vide. » [9] :

1 - La sous-classe des énoncés qui peuvent mettre en échec la théorie, appelés falsificateurs potentiels ou énoncés interdits par la théorie [10] (si ces énoncés sont confirmés à la suite d'un test élaboré grâce à une hypothèse falsifiante, la théorie est dite réfutée ou falsifiée ; si ces mêmes énoncés sont infirmés, la théorie est alors dite corroborée. Pour qu'une procédure de corroboration soit valide, il faut donc qu'il y est eu un test négatif qui a échoué en tentant de falsifier la théorie) ;

2 - La sous-classe des énoncés avec lesquels la théorie universelle s'accorde apriori telle qu'elle est formulée avant toute mise à l'épreuve, appelés par Popper les énoncés permis par la théorie (les nouvelles observations réalisées et qui s'accordent directement avec ce que dit déjà la théorie, n'en sont jamais, pour Popper, des corroborations, mais seulement des confirmations, sachant que pour Popper, il y a corroboration, uniquement s'il y a eu tentative de réfutation par le biais d'un test tentant de confirmer expérimentalement un falsificateur virtuel de la théorie, tentative qui a échoué. L'observation d'autres cygnes blancs, ne fera qu'apporter de nouvelles confirmations positives de la théorie universelle tous les cygnes sont blancs, mais sans en démontrer sa valeur descriptive, explicative et prédictive, et donc son contenu empirique, sachant que Popper définit le « contenu empirique » par la sous-classe des falsificateurs virtuels [11]).

Donc une théorie est dite « scientifique », si et seulement si elle admet une sous-classe non-vide de falsificateurs virtuels, parmi la classe de tous les énoncés de base possibles. Ceci est, bien entendu, la première condition sine qua non de la scientificité pour Popper, mais elle s'accompagne nécessairement de la réfutabilité empirique et de la réfutabilité méthdologique, puis de bien d'autres sophistications que l'on ne peut éluder pour prétendre avoir bien cerné les exigences de scientificité selon ce philosophe, comme par exemple le caractère reproductible des tests, leur indépendance, le caractère intersubjectif du contrôle de toutes les procédures de testabilité dans leur validité, leur applicabilité et encore leur répétabilité, sans oublier l'attitude sociologique des chercheurs vis-à-vis de leurs propres théories, des tests, des conclusions de leurs collègues (et de leurs nécessaires avis critiques, car la critique est une nécessité logique, dans la vraie science), ainsi que des institutions démocratiques nécessaires à l'organisation et au contrôle de tout ces processus constituant le rationalisme critique défendu par Karl Popper. 

Après avoir pris en compte tous les corollaires indispensables à l'édification de la scientificité tels que les décrit Karl Popper, on comprend mieux pourquoi il a imaginé une cohérence entre ses conceptions épistémologiques et celles sur le manière de concevoir le fonctionnement des démocratie contre l'utopie totalitaire. 

Les psychanalystes, pour ne citer qu'eux en tant qu'adversaires déclarés de l'épistémologie poppérienne, limitent bien trop souvent (et parfois à dessein) leur compréhension de la scientificité du philosophe à sa seule formule célèbre sur la falsifiabilité pour affirmer par exemple que la psychanalyse comporte aussi des énoncés réfutables ou que Freud ne cessait de réfuter ses théories ! Effectivement, si l'on isole la plupart des propositions ou autres énoncés sur n'importe quel thème théorique de la psychanalyse, comme la paranoïa, les rêves, et même la théorie de l'inconscient, on trouve beaucoup d'énoncés réfutables. Et Freud, dans son cabinet, ne pouvait éviter de manier des concepts universels, et de tenter des hypothèses adaptées à chaque patient sur la base de ses théories générales. De ce point de vue, on ne peut donc objecter à Adolf Grünbaum que la psychanalyse serait « saturée d'énoncés falsifiables ».

Nous soutenons que l'argument d'Adolf Grünbaum ne tient pas. En effet, la vie de l'homme de la rue, avec ses discours, ses propos, ses écrits, est, elle aussi "saturée d'énoncés falsifiables", ce qui ne peut faire de l'homme de la rue, du "vous et moi", un homme de science, ou un individu dont les propos, les écrits, etc., seraient susceptibles d'être d'emblée reconnus comme possédant une indéniable valeur scientifique. 

La science ne peut être ou demeurer "privée", ni se suffire d'un contrôle subjectif de "cabinet", en ayant au préalable justifié d'exclure tous les témoins indépendants comme le fit explicitement Sigmund Freud dès les premières pages de l'Introduction à la psychanalyse, ce qui le conduisit même à affirmer cette chose extraordinaire en ce qu'elle s'opposait diamétralement à l'esprit et à la méthode scientifique : "vous ne pourrez connaître la psychanalyse que par ouïe-dire"

On reste encore consterné, même un siècle après, par les propos de Freud, d'autant plus que ses ambitions scientifiques de l'époque en dépendaient directement.... Et il ne suffit pas d'avoir acquis ou suggéré (...) une connivence de points de vue avec une autre personne dans l'intimité d'un cabinet de psychanalyste pour prétendre avoir mis en place un "contrôle intersubjectif" (...) comme dans une authentique procédure scientifique, car, dans le cadre de la cure analytique, il ne peut exister strictement aucun test digne de porter le label de scientificité, ou même seulement un test qui soit susceptible de corroborer l'objectivité de l'une quelconque des théories proposées arbitrairement par Sigmund Freud.

Toute l'histoire de la psychanalyse n'est constituée que de pseudo-réfutations. 

Ce fut le refus déclaré de Sigmund Freud d'admettre des témoins indépendants, de soumettre les énoncés qui pouvaient l'être à la méthode expérimentale (voir la réponse célèbre de Freud à Binswanger), de contrefaire ses propres interprétations, d'inventer des cas, des faits, ou des guérisons purement fictives, bref, de mentir, de dissimuler ou de détruire certains de ses écrits, etc., allié à sa revendication de scientificité pour la psychanalyse, qui permet de dire que la psychanalyse n'est qu'une pseudo-science.

A chaque fois que Freud formulait un énoncé réfutable sur un cas ou une situation clinique particulière, dès que les faits risquaient de remettre en question sa tentative, il se servait de son fameux postulat sur le déterminisme psychique absolu comme roue de secours increvable rendant possible sa version délirante du symbolisme ou de l'ambivalence pour que ses interprétations retombent à tous les coups sur leurs pieds. 

C'est à cause de cette constante propension à engloutir toutes les réfutations possibles, que certains ont finit par déclarer que face à l'interprétation freudienne toute tentative de critique est promise à l'échec et que l'interprétation analytique c'est « pile je gagne, face tu perds »...

Ce qui se passe surtout, c'est qu'à chaque fois et sans aucune exception dans l'histoire de la psychanalyse freudienne, la reformulation des théories est réalisée sans que jamais il y ait eu le moindre test indépendant, extra-clinique, reproductible et intersubjectif. Pour le vérifier il suffit de contrôler la table des matières de tous les ouvrages de Freud pour constater que strictement aucun d'entre eux ne renvoie à des références bibliographiques sur des tests aux qualités bien spécifiques que nous décrivons et que Sigmund Freud aurait effectués ou qu'il aurait utilisés comme base de ses recherches pour en échafauder de nouveaux.

Pas de tests intersubjectifs construits sur la base d'autres tests antérieurs élaborés par une communauté de chercheurs en psychanalyse, donc jamais de réel progrès cumulatif des théories, puisqu'en science seul des tests qui se succèdent les uns aux autres et dont on peut en critiquer rationnellement la teneur et le lien de filiation aux précédents, peuvent générer ce type de progrès dans le savoir. L'absence de progrès cumulatif réel et corroboré découle aussi logiquement de la non réfutabilité effective de toute la psychanalyse. 

Le passage de la première à la deuxième topique du psychisme, par exemple, ne constitue pas un progrès cumulatif, mais une remise à plat des idées freudiennes sur l'organisation spatiale de la vie psychique, rien de plus.

Comme nous l'avons déjà précisé plus haut, tout comme Freud, l'homme de la rue, dans son contexte isolé, manipule constamment des concepts et des théories universelles réfutables, et le plus souvent sans s'en rendre compte. Cela fait-il de lui un homme de science [pourtant la vie quotidienne de tout individu est saturée par l'utilisation de concept et d'énoncés universels !] ? On comprend alors tout de suite pourquoi il ne suffit pas de se référer à la seule phrase célèbre de Karl Popper, une théorie est scientifique si elle peut être réfutée, pour prétendre avoir compris en quoi consiste une réfutation scientifique pour ce philosophe accompagnée de toutes ses autres implications lesquelles ne sont jamais remplies par la psychanalyse d'hier ou d'aujourd'hui contrairement à ce qu'a pu écrire dernièrement le psychanalyse Jean Laplanche.

En résumé, ce qui fait donc largement défaut à la psychanalyse depuis ses débuts jusqu'à nos jours c'est une certaine dimension sociale de construction et d'administration de la preuve. A tel point qu'un des plus célèbres critiques externes de la psychanalyse comme Frank Cioffi, identifia la psychanalyse comme une pseudo-science, non sur la base des critères de Popper, mais sur le fait que c'était une culture de mauvaise foi, les psychanalystes n'ayant pas cessé, tout au long de leur histoire, de nier les invalidations et les réfutations souvent éclatantes qui leur étaient démontrées.

Différence entre falsifiabilité et falsification : 

Popper s'est montré très vigilant sur la distinction à respecter entre falsifiabilité et falsification. C'est sur la base d'une confusion entre les deux concepts que beaucoup de ses détracteurs (comme Imre Lakatos et Thomas Kuhn), échafauderont la critique selon laquelle son critère de démarcation serait inapplicable dans le travail réel des scientifiques, arguant du fait qu'il serait impossible de falsifier une théorie définitivement, donc de manière décisive.

Dans son livre « Le réalisme et la science », il s'indigne de cette tenace incompréhension de sa thèse, et soutient qu'il avait pourtant bien précisé qu'aucune théorie scientifique n'est falsifiable de manière décisive [12], et que cela ne posait aucun problème pour la recherche scientifique, bien au contraire [13], comme on va le voir en lisant les propos de Popper :

« La difficulté, voire souvent l'impossibilité d'obtenir en pratique une falsification concluante, est avancée comme une objection au critère de démarcation que j'ai proposé, ou même comme une démonstration de l'impossibilité qu'il y aurait à le mettre en application. Tout cela n'aurait que peu d'importance, n'était que certains en furent conduits à abandonner le rationalisme en épistémologie pour tomber dans l'irrationalisme. Si ce n'est pas de manière rationnelle et par la critique que la science progresse, comment espérer que des décisions rationnelles puissent être prises dans d'autres domaines ? Une mise en cause désinvolte d'un terme logico-technique mal compris a ainsi conduit d'aucuns à des conclusions philosophiques, voire politiques, d'une portée considérable et d'un effet désastreux. Il faut insister sur le fait que le caractère incertain de toute réfutation empirique (que j'ai moi-même relevé à maintes reprises) ne doit pas être pris trop au sérieux (comme je l'ai également fait valoir). Il y a beaucoup de falsifications importantes qui sont aussi définitives que l'autorise l'universelle faillibilité de l'homme. De plus, toute falsification peut, à son tour, être soumise à des tests. »

« L'attribut spécifique de la connaissance humaine est qu'elle peut se formuler dans le langage, sous forme de propositions. La connaissance peut ainsi devenir consciente et objectivement critiquable par des arguments et par des tests. Nous en arrivons par là à la science. Les tests sont des tentatives de réfutation. Toute connaissance demeure faillible, conjecturale. Il n'y a pas de justification, et en particulier, bien évidemment, pas de justification définitive d'une réfutation. Pourtant nous apprenons par réfutation, c'est-à-dire par élimination de l'erreur, par rétro-action. Une telle analyse ne fait pas la moindre place à une quelconque « falsification naïve ». »

La falsifiabilité ne concerne, pour Popper, que la nécessité pour une théorie, si elle veut être empirique, d'être dans un certain rapport logique avec les énoncés de base possibles [14].

La falsification, concerne les tests reproductibles qu'il a été possible d'effectuer. Pour Popper, « l'on doit considérer une théorie comme falsifiée, que si nous découvrons un effet reproductible qui la réfute » (Popper). La falsification fait donc directement référence à une hypothèse falsifiante qu'il a été possible de soumettre à des tests pour corroborer ou réfuter une théorie [15]. Il s'agit donc d'un critère méthodologique.



Références bibliographiques : 


[1] Karl Popper. « Les deux problèmes fondamentaux de la théorie de la connaissance. » Edition Hermann, Paris, 1999. Chapitre 1, page 27.

[2] Karl Popper. Op. cit. Page 28.

[3] Karl Popper. Op. cit. Page 28.

[4] Karl Popper. « La logique de la découverte scientifique ». Edition Payot, Paris 1973. Chapitre 1 : « Examen de certains problèmes fondamentaux ».

[5] Karl Popper. « La logique de la découverte scientifique ». Edition Payot, Paris, 1973. Chapitre 3 : « Les théories ». Section 15 : « Enoncés universels au sens strict et énoncés existentiels », pages 66 à 69.

[6] Karl Popper. Op. cit. Pages 66 à 69.

[7] Karl Popper. Op. cit. Pages 66 à 69.

[8] Karl Popper. Op. cit. Pages 66 à 69.

[9] Karl Popper. Op. cit. Page 84.

[10] Karl Popper. Op. cit. Pages 66 à 69.

[11] Karl Popper. Op. Cit. Pages 120 à 121.

[12] Karl Popper. « Le réalisme et la science ». Edition Hermann, Paris, 1990. Introduction, pages 3 à 6.

[13] Karl Popper. Op. Cit. Introduction, pages 3 à 6, puis pages 13 à 17.

[14] Karl Popper. « La logique de la découverte scientifique ». Edition Payot, Paris, 1973. Chapitre 4 : « La falsifiabilité ». Section 22 : « Falsifiabilité et falsification ». Page 85.

[15] Karl Popper. Op. Cit. Page 85.
 
 
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