« La phrénologie, la physiognomonie et le magnétisme nous paraissent aujourd’hui des sciences assez cocasses et étranges. Nous avons perdu notre foi dans la bosse des bosses ; et pour donner une explication aux phénomènes de l’hypnotisme et de la suggestion, nous n’avons plus besoin de recourir à une caricature de la théorie du magnétisme. Pourtant, un siècle plus tôt, les gens qui portaient à la science ce qu’on appelle – sans ironie aucune – un intérêt éclairé étaient pour la plupart des fervents admirateurs de Lavater, de Gall et de Mesmer. Balzac, par exemple, croyait très sincèrement à leurs doctrines, et sa Comédie humaine regorge de présentations pseudo-scientifiques de la théorie des bosses et des creux crâniens et d’autres fluides magnétiques.
En les relisant maintenant on s’étonne – un sourire condescendant aux lèvres – qu’un homme aussi sensé que Balzac, pour ne pas dire un homme de génie, ait pu croire à d’aussi invraisemblables balivernes, plus bizarre encore, penser qu’elles aient pu avoir un quelconque rapport avec la science. Dans notre siècle si éclairé, ce genre de choses serait impossible, nous disons-nous avec suffisance.
Mais, hélas ! Si, c’est possible. Quelques vagues esprits dilettantes et bien pensants, qui en 1925 se voient comme des êtres particulièrement éclairés sur les questions scientifiques, ont découvert avec la plus grande délectation quelque chose de presque aussi stupide, facile et inexact, quelque chose de presque aussi amusant, excitant et irrésistiblement « philosophique » que les théories de Gall ou de Mesmer. La phrénologie et le magnétisme ont rejoint la magie noire, l’alchimie et l’astrologie. Mais nul besoin d’en regretter la perte ; les fantômes de nos ancêtres n’ont aucune raison de nous prendre en pitié. En vérité, ils pourraient presque nous envier. Car nous avons mis la main sur une chose plus divertissante encore que la phrénologie. Nous avons inventé la psychanalyse.
Dans cinquante ans, devinez quelle sera la pseudoscience préférée du romancier, de la femme du monde et du chercheur candide mais sans assez de rigueur scientifique pour poursuivre après le premier « eurêka » ? Ce sera quelque chose, soyons-en certains, qui, un siècle plus tard, paraîtra aussi grotesque que la phrénologie nous le semble aujourd’hui et que la psychanalyse le semblera à son tour aux yeux de la prochaine génération. Car l’esprit que les pseudosciences attirent est du genre intemporel. Tous les êtres pensants veulent connaître les secrets de l’univers ; mais ils se lancent sur des routes différentes dans leur quête de vérité. L’homme de science s’appuie sur l’expérience, la preuve passée au crible et une logique rigoureuse. L’individu non scientifique, qui toutefois aspire à l’être (car il en est de plus ouvertement mystiques qui ne le souhaitent pas), préfère des méthodes moins ardues. Les gens de ce type sont en général incapables de raisonner précisément ; ils n’ont que la plus vague conception de ce qui constitue une preuve. Ils croient qu’il existe des raccourcis vers l’absolu, des escaliers de service qui montent aux étages de la certitude et des combines à la « gagner-vite-et-beaucoup » pour acquérir la vérité. Rejetant de ce fait, parce que ne comprenant pas les sciences plus ardues et leurs méthodes laborieuses, ils se dévouent à l’étude de ce qui leur semble être une véritable science – une pseudoscience.
De la magie au magnétisme en passant par l’astrologie et jusqu’à la psychanalyse, l’objet de toutes les pseudosciences a toujours été l’Homme – et l’Homme dans sa nature morale, l’Homme en tant qu’être souffrant et jouissant. La raison n’en est pas difficile à trouver. L’Homme, qui est le centre, voire le créateur de notre univers, demeure le plus spectaculaire et passionnant des sujets d’études. Qui plus est, nous connaissons tous l’Homme ou, du moins, le pensons ; nul besoin de formation préalable pour s’attaquer à son étude. Une science de l’Homme se présente comme le raccourci le plus rapide vers le savoir absolu – tel est donc l’invariable sujet des pseudosciences.
Les méthodes de toutes ces « sciences » trahissent un même air de famille : utilisation d’arguments fondés sur l’analogie au lieu de raisonnements logiques, approbation de toutes sortes d’évidences serviables sans vérification expérimentale, élaboration d’hypothèses considérées ensuite comme des faits, déduction de lois à partir d’un unique cas mal observé, transformation des connotations de certains termes quand ça convient mieux et appropriation spontanée du sophisme post hoc ergo propter hoc – (après cela donc à cause de cela). Ainsi font les esprits non scientifiques qui cherchent la vérité pour monter l’étrange et formidable édifice de leurs doctrines. »
(In : Aldous HUXLEY, « Le livre noir de la psychanalyse », sous la direction de Catherine Meyer, éditions les arènes, Paris, septembre 2005, pages : 403 – 405).
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