« L’Aufklärung du temps de John Locke a hérité de cette haute idée de l’opinion libre, personnelle et a continué de la cultiver. Elle est sans aucun doute le fruit des guerres de religion anglaises et continentales, qui finirent par engendrer la notion de tolérance religieuse. Idée qui n’est nullement une idée simplement négative, comme on le prétend si souvent (Arnold Toynbee, par exemple). Elle n’exprime pas seulement la lassitude des combattants et l’idée (Einsicht) qu’il est vain de forcer par la terreur la conformité des esprits dans le domaine religieux. Tout au contraire, la tolérance religieuse dérive de l’idée (Erkenntnis) positive qu’en matière religieuse l’unanimité coactive n’a pas la moindre valeur : seule en la foi qui fut librement adoptée. Idée de conséquence. Elle amène à respecter toute fois sincère, elle amène ainsi à respecter l’individu et son opinion. Elle mène, selon les paroles d’Emmanuel Kant (le dernier grand philosophe de l’Aufklärung), à reconnaître la dignité de la personne humaine.
Par cette thèse de la dignité de la personne, Kant entendait le commandement qui prescrit de respecter tout homme et sa conviction. Cette règle, il ne la dissociait pas du principe qu’à juste titre les Anglais appellent la règle d’or et qui, en allemand, a quelque air de trivialité : « Ce que tu ne veux pas que l’on te fasse, ne l’inflige à personne non plus ! » Kant, de plus, articulait ce principe à l’idée de liberté : la liberté de pensée, comme, dans Schiller, le marquis Posa l’exige de Philippe ; la liberté de pensée, comme le déterministe qu’était Spinoza cherchait à la fonder en ceci que c’est une liberté inaliénable que le tyran cherche en vain à nous arracher sans jamais y parvenir.
Sur ce point, nous ne pouvons plus, je crois, nous accorder avec Spinoza. Il est vrai sans doute que la liberté de pensée ne peut jamais être complètement opprimée. Mais elle peut l’être au moins assez largement. Sans liberté dans l’échange d’idées, en effet, il ne peut y avoir de liberté de pensée effective. Nous avons besoin d’autrui pour tester les idées que nous lui soumettons ; pour établir si elles sont pertinentes. La discussion critique est le fondement de la libre pensée de l’individu. Mais cela signifie que la pleine liberté de pensée est impossible sans liberté politique. Et la liberté politique devient ainsi la précondition du libre et plein usage de la raison de tout individu.
Mais la liberté politique, de son côté, ne peut être garantie que par la tradition inspirant le désir de la défendre, de combattre pour elle, le sens du sacrifice. »
(In : Karl POPPER. « À la recherche d’un monde meilleur ». Éditions du Rocher/Anatolia, Paris, 2000, pages : 320 – 321).
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