jeudi 25 mai 2017

Karl R. POPPER : sur le dogmatisme et le concept inductiviste du sens.




Cher(e)s récalcitrant(e)s éclairé(e)s, 

Nous avons déjà cité Popper au sujet de sa critique sur le concept inductiviste de sens, mais, si l'on y revient pas de temps en temps, les choses ont tendance à s'oublier.

Or, les arguments de Karl Popper, nous semblent encore une fois essentiels pour servir les objectifs d'un rationalisme critique outillé contre la psychanalyse, comprise en premier lieu comme doctrine, laquelle pourrait être évaluée ensuite selon son degré de dogmatisme, puis, à bon droit, qualifiée de pseudo-science.

En lisant le texte qui va suivre ci-dessous, vous comprendrez que ce qu'il contient peut fort bien, selon nous, et par analogie, être également utilisé contre l'attitude intellectuelle des défenseurs de la psychanalyse, lesquels reviennent sans cesse sur le "sens" que peut prendre n'importe quelle chose, événement, phrase, mot, etc. pour un individu, afin de lui faire admettre "l'inconscient", ou le faire entrer dans "le jeu de l'inconscient" (...), et in fine lui faire accepter l'existence de prétendues "névroses" ou autres « effets de réel » (…) dont les origines, les causes, se ramènent toujours à « l’inconscient ».

Une proposition dénuée de sens, ne peut être rattachée à aucun fait. Aucun fait de la Nature, et par exemple, de la nature humaine. Elle est susceptible d’être qualifiée, par la même occasion, de "métaphysique".  

L’on pourrait reprocher à cette affirmation d’être conforme avec les principes du positivisme logique du Cercle de Vienne, mais tout dépend de la façon dont nous envisageons le rapport des théories avec les faits : si ce rapport est construit sur la base de tests expérimentaux manipulant des variables indépendantes, alors, il sera valide d’affirmer qu’une corroboration ou une réfutation obtenue à l’issue de tels tests, prend du « sens » : notre sentiment d’approcher de la vérité ou d’avoir mis en évidence une erreur, est « fondé », parce que nous sommes fondés à croire que les preuves que nous avons mises en évidence sont validées par une logique de l’expérimentation qui est démontrable, indépendamment de nos sentiments ; de surcroît si plusieurs personnes peuvent être d’accord sur la validité de cette logique et celle des preuves qui en sont les résultats.  

L’expérimentateur qui procède donc selon une logique hypothético-déductiviste de contrôle (K. Popper), (et par conséquent opposée à une logique positiviste sur la base de l’erreur de la méthode inductive), est donc lui aussi confronté au problème de l’évidence, ou du « sens » : il doit considérer que certaines observations factuelles permettent d’accréditer le résultat probant d’une corroboration ou d’une réfutation expérimentale. Seulement, et à la différence d’un positiviste, et plus encore d’un psychanalyste, (qui de toute façon ne peut procéder à aucun test expérimental indépendant à partir des postulats trop déterministes) de la psychanalyse…), le scientifique n’accréditera jamais la certitude absolue quant à une évidence factuelle qu’il aurait pourtant sous les yeux, sachant fort bien que la logique lui interdit d’accréditer la moindre certitude à quoique ce soit qui touche à la mesure de n’importe quel phénomène naturel observable, nature humaine comprise, évidemment : dans une science authentique, toute observation peut et doit logiquement, toujours pouvoir être remise en questions, grâce à des tests encore plus précis et riches en contenu.

Les psychanalystes ont beau jeu, dès qu'ils le jugent nécessaire, et pour protéger leur doctrine de la critique, (et de ceux qui usent donc d'un rationalisme critique fondé sur la logique et l'épistémologie), de qualifier ces objections de "névrotiques" ou "d'obsessionnelles", parce qu'elles ne relèveraient selon eux d'aucun sens rationnel, (ce qui s'éloigne un peu, il faut l'admettre, de la conception de sens que nous avons donnée plus avant), mais d'un "sens" pathogène qui serait soi-disant explicable par leur théorie de l'inconscient, bien que cette théorie n'ait jamais démontré le fondement de son propre sens grâce à des mises à l'épreuve expérimentales dignes de ce nom.

Jamais la psychanalyse n’a pu démontrer de manière valide et extra-clinique que la version de « l’inconscient » sur laquelle elle se fonde est la cause « indubitable » (parce qu’elle serait en tous points conforme à son postulat ontologique d’un déterminisme psychique inconscient prima faciae absolu), de « névroses », de « psychoses », ou de toutes autres choses relatives à la Nature humaine et sur lesquelles elle prétend rationnellement, fournir des explications causales. Mais, bien que la psychanalyse n’ait toujours aucun sens qui soit démontré, elle continue de revendiquer le fait d’être une prétendue « épistémologie du sujet », et même plus largement encore une « science des sciences », entendu que tout ce qui n’entre pas dans ce qu’elle tend à définir elle-même comme de la « rationalité » (…), n’est pas rationnel, et peut donc toujours être rejeté dans le champ du « pathogène »… Mais ce qui peut être le produit de la raison humaine, n’est pas toujours « rationnel » : entendu que la raison peut aussi produire des absurdités et toute une panoplie de stratagèmes rationnels pour le nier. La mauvaise foi, les égarements, l’obscurantisme, le charlatanisme, la malhonnêteté intellectuelle font aussi partie des produits de la raison humaine, et ce n’est pas, par exemple, la « pensée » de Hegel ou celle de Jacques Lacan qui pourrait le contredire.

Evidemment, chacun comprend que l’on ne doit, ou que l’on ne devrait considérer comme « rationnel » que ce qui est fondé par les faits grâce à la mise à l’épreuve par l’expérience, et au moins valide sur le plan logique. C’est cette version de la rationalité humaine que défendent des philosophes comme Karl Popper, ou Arthur Schopenhaeur qui écrira à propos de la philosophie hégélienne, je cite : « encore un rêve de dément, issu de la langue, et non de la tête ». Voilà de quoi est issue la psychanalyse, et, pire encore, la psychanalyse de Lacan : de la langue, (…), et non « de la tête » ; (ou peut-être d’une consommation excessive de cocaïne par le père de la psychanalyse) ; c’est bien un « rêve de dément ».

En somme, ce texte de Karl Popper constitue selon nous une excellente grille de lecture, critique, de la psychanalyse. S'ajoutent à celle-ci les thèses du même auteur dévastatrices contre le "déterminisme scientifique" contenues dans son livre, "L'univers irrésolu. Plaidoyer pour l'indéterminisme" ; et, bien entendu, tous les autres arguments de Popper en faveur d'une "Logique de la découverte scientifique".

Nous mettons en caractères gras les éléments contenus dans ce texte qui nous paraissent utilisables pour une critique de la psychanalyse, mais aussi de l'attitude intellectuelle des psychanalystes.


Nous restons toujours persuadés, avec d'autres, que "chausser des lunettes épistémologiques" sur la base des thèses de Karl Popper est bien plus efficace et libérateur pour la pensée et la recherche de la Vérité, que de placer sur ses yeux les œillères de la psychanalyse, lesquelles n'ont pour "fonction" que d'aggraver encore l'étroitesse d'esprit sinon l'aveuglement de ceux qui la défendent ou qui s'en laissent enticher.

(Patrice Van den Reysen. Tous droits réservés).




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« Le dogmatisme d’une doctrine peut consister en ceci, (dogme non protégé) que des propositions sont formulées et assertées comme vraies sans justifications suffisante. « Dogmatique » en ce sens serait par exemple l’Ethique de Spinoza : ses axiomes, etc. doivent être admis pour immédiatement évidents et justifiés par eux-mêmes (ou quelque chose de ce genre). Mais avec cette forme de dogmatisme, il serait toujours pensable qu’une telle proposition (logique ou empirique) soit réfutée en montrant une contradiction, qu’il s’agisse d’une contradiction intérieure ou d’une contradiction avec l’expérience.

Mais il y a aussi une forme de dogmatisme (dogme protégé) dont le « caractère dogmatique » est beaucoup plus fortement marqué : les dogmes peuvent être garantis par des dogmes de telle manière qu’en toutes circonstances ils demeurent nécessairement intouchables. La dialectique de Hegel offre l’exemple d’une telle protection.

Hegel ne cherche pas du tout à réfuter la preuve de Kant, mais il érige immédiatement sa dialectique sur le concept de la contradiction considérée comme un facteur nécessaire et éminemment productif de toute pensée. Grâce à cette tactique, non seulement l’attaque de Kant, mais encore toute objection pensable perd son assise : elle n’est même pas repoussée, car elle ne peut même pas concerner le système (elle ne concerne toujours que sa propre antithèse). Toute objection pensable contre le système ne pourrait consister qu’à en montrer les contradictions internes. Mais une telle preuve n’ébranle en rien le système dialectique, il le renforce et le confirme plutôt.

Sous la protection particulière de la dialectique, le système se tient à l’extérieur, au-dessus de toute discussion. Il repose dans une « couche supérieure de la raison », il a rompu tous les ponts (ou peut-être mieux : toutes les échelles) qui conduisent du plan discutable jusqu’à lui.

Une forme de dogmatisme tout à fait analogue est le credo quia absurdum de Tertullien : si l’absurdité, la contradiction interne est élevée au rang de motif de la croyance, cette dernière est sur un plan inaccessible aux arguments. (Et c’est bien aussi « l’essence » la plus intime de la croyance.)

C’est précisément cette même protection que l’on peut obtenir en introduisant le concept inductiviste de sens. Une fois ce concept introduit, tout combat contre lui est vain : toute objection est jugée comme vide de sens. Aucune objection adressée au concept de sens ne peut en effet relever de la « science de la nature » (et être ainsi douée de sens), puisque le concept de sens n’est pas lui-même un concept qui relève de la science de la nature. Il se tient sur un plan supérieur ; il demeure toujours hors de portée des arguments dont il reconnaît la validité.

Il ne peut bien sûr pas non plus être justifié d’une manière douée de sens : la « méthode correcte en philosophie » ne consiste pas à justifier le concept de sens en argumentant mais seulement à rejeter toute objection comme vide de sens, comme une pseudo-objection. (Elle est donc une méthode apologétique du pseudo-problème.) Même l’intronisation du concept de sens est donc vide de sens si elle entreprend d’argumenter. Du moins doit-elle nécessairement après coup être reconnue comme une entreprise vide de sens ; à savoir dès qu’on l’a réalisée une seule fois.

Cette connaissance selon laquelle toute discussion du concept de sens, même son intronisation argumentée, est vide de sens est donc le dernier mot de l’argumentation philosophique. Après quoi elle devient muette : les vaisseaux sont brûlés, les ponts rompus, les échelles rejetées. Et c’est en effet ainsi que Wittgenstein lui-même conclut : « Mes propositions sont des éclaircissements en ceci que celui qui me comprend les reconnaît à la fin comme dénuées de sens, lorsque grâce à elles – sur elles – il les a surmontées. (Il doit pour ainsi dire rejeter l’échelle après y être monté.) … Il lui faut dépasser ces propositions pour voir correctement le monde … Sur ce dont on ne peut parler, il faut se taire. »

Si le positivisme logique a rejeté l’échelle après être monté dessus, il est ainsi garanti contre toute attaque. Aucun argument ne peut plus l’atteindre, mais le suivre hors du plan du discutable, dans sa sphère. Le concept de sens est absolument inattaquable et rend une critique immanente impossible (de même qu’une justification immanente)

Si le caractère dénué de sens de l’argumentation (intronisatrice) est une conséquence nécessaire du concept de sens, le caractère inattaquable du résultat en est l’autre conséquence : et c’est précisément cette conséquence qui importe en premier lieu au dogmatisme. Ainsi Wittgenstein juge-t-il même très justement son travail, lorsqu’il en dit ceci : « En revanche, la vérité des pensées ici communiquées me  semble intangible et définitive. Je pense donc avoir, pour l’essentiel, résolu les problèmes d’une manière définitive… »



(In : Karl R. POPPER. « Les deux problèmes fondamentaux de la théorie de la connaissance ». Edition Hermann, Paris, 1999, pages : 310 – 312).













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