dimanche 22 octobre 2023

Karl POPPER : Le déterminisme physique est un cauchemar.

 





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Karl POPPER. Le déterminisme physique est un cauchemar.


« J’ai traité le déterminisme physique de cauchemar. C’est un cauchemar parce qu’il affirme que le monde entier, avec tout ce qu’il contient, est un gigantesque automate, et que nous ne sommes rien d’autre que des petits rouages, ou des sous-automates dans le meilleur des cas.

Il détruit ainsi, en particulier, l’idée de créativité. Il réduit à l’état de complète illusion l’idée que, dans la préparation de cette conférence, je me suis servi de mon cerveau pour créer quelque chose de nouveau. Ce qui est passé là, selon le déterminisme physique, c’est que certaines parties de mon corps ont tracé des marques noires sur un papier blanc, et rien de plus : tout physicien disposant d’une information suffisamment détaillée pourrait avoir écrit ma conférence grâce à cette méthode très simple : prédire les endroits précis où le système physique composé de mon corps (y compris mon cerveau, bien sûr, et mes doigts) et de mon stylo tracerait des marques noires.
Ou, pour utiliser un exemple plus frappant : si le déterminisme physique est correct, alors un physicien complètement sourd, qui n’aurait jamais entendu de musique de sa vie, pourrait écrire toutes les symphonies et tous les concertos de Mozart ou de Beethoven, au moyen d’une méthode simple, qui consisterait à étudier les états physiques précis de leurs corps et à prédire où ils traceraient des marques noires sur leur portée. Et notre physicien sourd pourrait même faire mieux : en étudiant les corps de Mozart et de Beethoven avec assez de soin, il pourrait écrire des partitions qui n’ont jamais été réellement écrites par Mozart ou Beethoven, mais qu’ils auraient écrites si certaines circonstances de leurs vies avaient été différentes – s’ils avaient mangé, disons, de l’agneau au lieu du poulet et bu du thé au lieu du café.

Tout ceci, notre physicien sourd pourrait le faire, si on lui fournissait un savoir suffisant sur des conditions purement physiques. Il n’aurait aucun besoin de rien connaître à la théorie musicale – et pourtant, il serait peut-être capable de prédire quelles réponses Mozart et Beethoven auraient écrites s’ils s’étaient trouvés dans des conditions d’examen face à des questions sur la théorie du contre point.

Je crois que tout ceci est absurde ; et cette absurdité devient encore plus manifeste, je pense, quand on applique cette méthode de prédiction physique au partisan du déterminisme.

Car, selon le déterminisme, toute théorie – par exemple, le déterminisme – est défendue à cause d’une certaine structure physique du défenseur (de son cerveau, peut-être). En conséquence, nous nous trompons nous-mêmes (et sommes ainsi déterminés physiquement à nous tromper nous-mêmes) chaque fois que nous croyons qu’il existe des choses comme des arguments ou des raisons qui nous font accepter le déterminisme. En d’autres termes, le déterminisme physique est une théorie telle que, si elle est vraie, il est impossible d’argumenter en sa faveur, puisqu’elle doit expliquer toutes nos créations, y compris celles que nous tenons pour des croyances fondées sur des argumetns, comme étant dues à des conditions purement physiques. Des conditions purement physiques, nous font dire ou accepter tout ce que nous disons ou acceptons ; et un physicien expérimenté, qui ne connaît pas un mot de français et n’a jamais entendu parler du déterminisme, serait capable de prédire ce qu’un déterministe français dirait dans une discussion en français sur le déterminisme ; et, bien sûr, de prédire également ce que dirait son adversaire indéterministe. Mais cela signifie que si nous croyons avoir accepté une théorie comme le déterminisme sous l’influence de la force logique de certains arguments, alors, selon le déterminisme physique, nous nous trompons nous-mêmes ; ou, plus précisément, nous sommes dans une condition physique qui nous détermine à nous tromper nous-mêmes.

Hume a en bonne parie vue cela, même s’il ne semble pas en avoir tout à fait saisi la signification pour ses propres arguments ; car il se borne à comparer le déterminisme de « nos jugements »  avec celui de « nos actions », en disant que « nous n’avons pas plus de liberté dans les unes que dans les autres ».

Des considérations comme celles-ci sont peut-être susceptibles d’expliquer pourquoi tant de philosophes refusent de prendre au sérieux le problème du déterminisme physique et le rejettent comme un « épouvantail ». Cependant, en 1751, soit bien avant l’accpetation universele de la théorie de l’évolution, La Mettrie a plaidé avec beaucoup de force et de sérieux en faveur de la doctrine de l’homme-machine ; et la théorie de l’évolution a donné à ce problème un tour plus aigu encore, en suggérant qu’il pourrait ne pas exister de distinction claire entre matière vivante et matière morte. Et, en dépit de la victoire de la nouvelle théorie quantique et de la conversion de tant de physiciens à l’indéterminisme, la doctrine de l’homme-machine de la Mettrie a aujourd’hui peut-être encore plus de défenseurs qu’elle n’en a jamais eus auparavant parmi les physiciens, biologistes et philosophes ; surtout sous la forme de la thèse de l’homme-ordinateur.

(In : Karl POPPER. « La connaissance objective ». Traduction intégrale de l’anglais et préfacé par Jean-Jacques Rosat. Editions Aubier, Paris, 1991, pages : 340- 343).



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Mon roman, "HOAG, un témoignage du futur":



















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