« (…) Popper dénonce le caractère circulaire de la plupart des justifications d’interprétations psychanalytiques, et le fait qu’elles tendent à devenir à elles-mêmes leur propre fondement. « Les analystes freudiens soulignaient que leurs théories étaient constamment vérifiées par leurs « observations cliniques ». Pour ce qui est d’Adler, j’ai été très impressionné par une expérience personnelle. Un jour, en 1919, je lui rapportai un cas qui, à mes yeux, ne me paraissait pas particulièrement adlérien, mais qu’il n’éprouva aucune difficulté à analyser dans les termes de sa théorie des sentiments d’infériorité, bien qu’il n’ai même pas vu l’enfant. Légèrement choqué, je lui demandai comment il pouvait être aussi sûr. A cause de mon expérience mille fois répétée, répondit-il ; sur quoi je ne pus m’empêcher de dire : Et avec ce nouveau cas, je suppose, votre expérience est devenue une expérience mille et une fois répétée. »
Pour qu’une explication soit satisfaisante, une condition essentielle est requise : l’explicans doit être fondamentalement indépendant de l’explicandum, c’est-à-dire qu’il doit être testable indépendamment de lui. Une explication circulaire, du type « la mer est agitée par le fait que chaque fois que Neptune est de mauvaise humeur il agite la mer », est évidemment une mauvaise explication, comme le sont aussi les explications ad hoc, qui n’ont en leur faveur que le phénomène à expliquer, et auxquelles Popper reproche aux psychanalystes de recourir trop souvent.
L’illusion épistémologique dénoncée par Popper est celle qui consiste à croire, sans vigilance critique, que la psychanalyse serait scientifique parce qu’elle se fonde sur des « observations cliniques ». Alors que : « Les observations cliniques », comme toutes les autres observations, sont des interprétations à la lumière des théories,…et pour cette simple raison elles sont de nature à donner l’impression de confirmer les théories à la lumière desquelles elles ont été interprétées. Mais la confirmation réelle ne peut être obtenue qu’à partir d’observations entreprises comme des tests (par des « essais de réfutation ») et, pour ce faire, des critères de réfutation doivent être établis à l’avance : on doit s’être mis d’accord sur la question de savoir quelles sont les situations observables qui, si elles sont effectivement observées, signifient que la théorie est réfutée. Mais quel genre de réponses cliniques réfuterait, à la satisfaction de l’analyste, non seulement un diagnostic analytique particulier, mais la psychanalyse elle-même ? Et des critères de ce genre ont-ils jamais fait l’objet d’une discussion ou d’un accord chez les analystes ? N’y a-t-il pas, au contraire, toute une famille de concepts analytiques, tels que celui « d’ambivalence » (je ne suggère pas qu’il existe rien de tel que l’ambivalence) qui rendraient difficile, sinon impossible, un accord sur de tels critères ? ».
On voit qu’il faut, pour qu’il puisse y avoir falsification, que la théorie impliquée par l’observation soit différente de celle que l’observation peut risque de réfuter. En effet, les phénomènes observés doivent posséder un minimum d’indépendance par rapport à la théorie qui les explique, même si Popper insiste sur le fait que cette indépendance ne peut jamais être totale. Or, dans le cas d’observations cliniques psychanalytiques, le problème du « cercle herméneutique » fait que ces conditions ne peuvent être remplies. Popper ajoute à la mise en cause du caractère très particulier de certains concepts psychanalytiques le fait qu’en psychanalyse peut intervenir le phénomène qu’il a appelé « effet Œdipe », c’est-à-dire l’influence d’une théorie sur l’événement qu’elle explique ou qu’elle prédit, influence par laquelle la théorie modifie, ou même crée, l’objet même qu’elle étudie. C’est dans ces conditions que Popper lance un défi aux psychanalystes. »
(In : Renée BOUVERESSE. « Colloque de Cerisy. Karl Popper et la science d’aujourd’hui ». Editions Aubier, Paris, 1989. « Une quête sans fin : le statut scientifique de la psychanalyse ». Pages : 349 – 350).
Bref commentaire :
Renée Bouveresse aurait dû utiliser le terme de corroboration plutôt que de "confirmation" dans l'exposé des idées critiques de Karl Popper au sujet de la méthode clinique.
En effet, pour Popper une théorie universelle peut toujours être confirmée par les faits qui en sont directement déductibles mais qui ne risquent pas de la mettre en échec, comme l'observation de tout objet se déplaçant à la vitesse de la lumière par rapport à la théorie de la vitesse de la lumière.
Par conséquent, une théorie universelle ne prouve son contenu empirique que par l'intermédiaire de tests intersubjectivement contrôlés et répétés lesquels ont pour objectif, non de la "confirmer", mais de la mettre à l'épreuve, donc de la réfuter.
Il va sans dire que par la procédure des tests scientifiques, et si leur logique repose toujours sur des tentatives de réfutation des théories, les scientifiques espèrent, bien entendu, que leurs théories ainsi testées échoueront à ces tests et qu'elles seront donc... réfutées pour que la connaissance scientifique progresse en contenu d'information descriptive sur les phénomènes. Donc, dans le cas contraire, elles seront corroborées et pas simplement "confirmées" !
Cependant, en entrant un peu plus dans le détail, Popper démontre que pour mettre à l'épreuve une théorie universelle stricte, il faut d'abord pouvoir déduire un énoncé particulier qui soit potentiellement "interdit" ou "exclu" a priori par la formulation de la théorie.
Par exemple, la théorie de la vitesse de lumière, "interdit" les neutrinos supraluminiques... (ou toute autre "objet", "phénomène", "occurence", "particule", supraluminique).
C'est ensuite une hypothèse "falsifiante" qui peut être imaginée : "il est possible, selon certaines conditions initiales d'expérimentation qui soient contrôlables et répétables, d'observer des neutrinos se déplaçant plus vite que la vitesse de la lumière ; donc qui soient "supralumniques"". Et les résultats de l'expérimentation de cette hypothèse peuvent aboutir à une alternative :
1. Cette hypothèse est confirmée.
Dans ce cas, les scientifiques se réunissent pour prendre la décision "méthodologique" d'accepter les tests effectués sur cette hypothèse comme valides, et finissent par annoncer que la théorie (universelle) de la vitesse de la lumière est... réfutée par l'expérience : grâce à la confirmation de l'un de ses falsificateurs potentiels (l'existence effectivement contrôlée de neutrinos supraluminiques).
2. Cette hypothèse est infirmée.
Dans ce cas, les scientifiques (...) finissent par annoncer que la théorie de la vitesse de la lumière... est corroborée par l'expérience : bien que l'hypothèse falsifiante de l'existence possible de neutrinos supraluminiques fut tout à fait "inédite" et scientifique, (inédite parce que personne auparavant n'avait songé à la tester, et parce que les moyens théoriques, (mathématiques, etc..) mais aussi technologiques n'existaient pas ; scientifique parce que cette hypothèse est elle-même déduite d'un savoir antérieur sur des tests déjà effectués sur la vitesse de la lumière), aucune de ces particules n'a été confirmée quant à leurs propriétés "supraluminiques". Donc la corroboration consiste bien en ceci : il faut qu'une théorie passe avec succès un test qui soit plus sévère que tous les précédents et qui soit scientifique, parce qu'il en est possiblement déductible.
Cependant, dans les cas 1. et 2. la connaissance scientifique progresse. Elle progresse qu'elle que soit l'issue des tests : qu'ils aboutissent à une réfutation ou à une corroboration.
Dans le cas 1. : il existe certaines particules (les neutrinos supraluminiques) qui, selon certaines conditions d'observation désormais connues se déplacent plus vite que la vitesse de la lumière.
Dans le cas 2. : il n'existe toujours pas de particules connues capables de se déplacer plus vite que la vitesse de la lumière, et y compris "certains neutrinos". (Voilà l'élément de connaissance scientifique inédit conquis après une corroboration de la théorie de la vitesse de la lumière).
* *
Bref commentaire :
Renée Bouveresse aurait dû utiliser le terme de corroboration plutôt que de "confirmation" dans l'exposé des idées critiques de Karl Popper au sujet de la méthode clinique.
En effet, pour Popper une théorie universelle peut toujours être confirmée par les faits qui en sont directement déductibles mais qui ne risquent pas de la mettre en échec, comme l'observation de tout objet se déplaçant à la vitesse de la lumière par rapport à la théorie de la vitesse de la lumière.
Par conséquent, une théorie universelle ne prouve son contenu empirique que par l'intermédiaire de tests intersubjectivement contrôlés et répétés lesquels ont pour objectif, non de la "confirmer", mais de la mettre à l'épreuve, donc de la réfuter.
Il va sans dire que par la procédure des tests scientifiques, et si leur logique repose toujours sur des tentatives de réfutation des théories, les scientifiques espèrent, bien entendu, que leurs théories ainsi testées échoueront à ces tests et qu'elles seront donc... réfutées pour que la connaissance scientifique progresse en contenu d'information descriptive sur les phénomènes. Donc, dans le cas contraire, elles seront corroborées et pas simplement "confirmées" !
Cependant, en entrant un peu plus dans le détail, Popper démontre que pour mettre à l'épreuve une théorie universelle stricte, il faut d'abord pouvoir déduire un énoncé particulier qui soit potentiellement "interdit" ou "exclu" a priori par la formulation de la théorie.
Par exemple, la théorie de la vitesse de lumière, "interdit" les neutrinos supraluminiques... (ou toute autre "objet", "phénomène", "occurence", "particule", supraluminique).
C'est ensuite une hypothèse "falsifiante" qui peut être imaginée : "il est possible, selon certaines conditions initiales d'expérimentation qui soient contrôlables et répétables, d'observer des neutrinos se déplaçant plus vite que la vitesse de la lumière ; donc qui soient "supralumniques"". Et les résultats de l'expérimentation de cette hypothèse peuvent aboutir à une alternative :
1. Cette hypothèse est confirmée.
Dans ce cas, les scientifiques se réunissent pour prendre la décision "méthodologique" d'accepter les tests effectués sur cette hypothèse comme valides, et finissent par annoncer que la théorie (universelle) de la vitesse de la lumière est... réfutée par l'expérience : grâce à la confirmation de l'un de ses falsificateurs potentiels (l'existence effectivement contrôlée de neutrinos supraluminiques).
2. Cette hypothèse est infirmée.
Dans ce cas, les scientifiques (...) finissent par annoncer que la théorie de la vitesse de la lumière... est corroborée par l'expérience : bien que l'hypothèse falsifiante de l'existence possible de neutrinos supraluminiques fut tout à fait "inédite" et scientifique, (inédite parce que personne auparavant n'avait songé à la tester, et parce que les moyens théoriques, (mathématiques, etc..) mais aussi technologiques n'existaient pas ; scientifique parce que cette hypothèse est elle-même déduite d'un savoir antérieur sur des tests déjà effectués sur la vitesse de la lumière), aucune de ces particules n'a été confirmée quant à leurs propriétés "supraluminiques". Donc la corroboration consiste bien en ceci : il faut qu'une théorie passe avec succès un test qui soit plus sévère que tous les précédents et qui soit scientifique, parce qu'il en est possiblement déductible.
Cependant, dans les cas 1. et 2. la connaissance scientifique progresse. Elle progresse qu'elle que soit l'issue des tests : qu'ils aboutissent à une réfutation ou à une corroboration.
Dans le cas 1. : il existe certaines particules (les neutrinos supraluminiques) qui, selon certaines conditions d'observation désormais connues se déplacent plus vite que la vitesse de la lumière.
Dans le cas 2. : il n'existe toujours pas de particules connues capables de se déplacer plus vite que la vitesse de la lumière, et y compris "certains neutrinos". (Voilà l'élément de connaissance scientifique inédit conquis après une corroboration de la théorie de la vitesse de la lumière).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Psychanalystes, dehors !