« Tant que nos concepts rationnels n’ont pour objet que la totalité des conditions dans le monde sensible et ce qui peut, par rapport à ce monde, tourner à l’avantage de la raison, nos idées sont à la vérité transcendantales, mais cependant cosmologiques. Mais aussitôt que nous plaçons l’inconditionné (dont pourtant il s’agit proprement) dans ce qui est totalement hors du monde sensible, par conséquent en dehors de toute expérience possible, les idées deviennent alors transcendantales : elles ne servent pas seulement à l’achèvement de l’usage empirique de la raison (achèvement qui demeure toujours une idée jamais réalisable, et que, pourtant, il faut poursuivre), mais elles s’en emparent entièrement et se changent elles-mêmes en objets dont la matière n’est point tirée de l’expérience et dont la réalité objective ne repose pas, non plus, sur l’achèvement de la série empirique, mais sur des concepts purs a priori. De semblables idées transcendantales ont un objet simplement intelligible qu’il nous est sans doute permis d’accorder comme un objet (Object) transcendantal, dont nous ne savons d’ailleurs rien, sans que nous ayons, pour le concevoir comme une chose déterminable par ses prédicats distinctifs, et essentiels, des principe de sa possibilité (à titre de chose indépendante de tous les concepts de l’expérience), et sans que nous soyons autorisés à l’admettre comme un tel objet ; il n’est, par conséquent qu’un simple être de raison.
Cependant, parmi toutes les idées cosmologiques, celle qui a donné naissance à la quatrième antinomie nous pousse à risquer ce pas. En effet, l’existence des phénomènes, qui n’est pas du tout fondée en elle-même, mais qui est toujours conditionnée, nous invite à rechercher autour de nous quelque chose de distinct de tous les phénomènes, par conséquent, un objet intelligible où cesse cette contingence. Mais, comme, une fois que nous avons pris la liberté d’admettre, en dehors du champ de toute la sensibilité, une réalité existant par elle-même, nous ne devons plus regarder les phénomènes que comme des modes contingents de représentation d’objets intelligibles que nous nous faisons d’êtres qui sont eux-mêmes des intelligences, il ne nous reste plus alors que l’analogie suivant laquelle nous faisons usage des concepts de l’expérience pour nous faire quelque concept des choses intelligibles, dont nous n’avons pas en soi la moindre connaissance. Comme nous n’apprenons à connaître le contingent que par le moyen de l’expérience, et tandis qu’il est ici question de choses qui ne peuvent pas du tout être des objets d’expérience, nous devrons en faire dériver la connaissance de ce qui est nécessaire en soi, de concepts purs des choses en général. Le premier pas que nous faisons en dehors du monde sensible nous oblige donc a commencer nos nouvelles connaissances par la recherche de l’être absolument nécessaire et à dériver du concept de cet être les concepts de toutes les choses en tant qu’elles sont simplement intelligibles ; c’est l’essai que nous allons faire dans le chapitre suivant. »
(In : Emmanuel KANT. « Critique de la raison pure ». Éditions Quadrige/Presses Universitaires de France, Paris, 4° édition, avril 1993, pages : 411 – 412).
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Commentaires :
Dans ce texte de Kant, nous trouvons des explications essentielles permettant de comprendre, par analogie, pourquoi, en s’aventurant dans la tentative d'une connaissance d’un inconscient psychique identique à un déterminisme prima faciae absolu, comme celui de la psychanalyse, la raison ne peut que rencontrer des problèmes bien particuliers et insurmontables.
Soit pour rendre intelligibles (…) à elle-même, les objets de connaissance qu’elle se donne, soit pour éviter d’avoir recours par l’analogie à ce qui est déjà intelligible par elle comme quelque chose d’existant.
Ce sont les raisons pour lesquelles, les psychanalystes lacaniens, par exemple, croient tellement en l’existence d’un « autre » individu en nous-mêmes comportant des analogies de comportement et de « réflexion » avec l’être conscient, à cette différence fondamentale qu’il en saurait toujours plus sur cet être, et que son « savoir » exclurait a priori tout hasard et tout non-sens.
« L’inconscient » du fondateur de la psychanalyse, ou « l’autre » de Lacan, ne sont jamais rien de plus que ces « concepts purs a priori » dont parle Kant. Et, à défaut de pouvoir réaliser des « expériences sensibles » (…), empiriques et indépendantes sur ces objets, nous ne savons réellement rien sur eux, dès lors qu’ils sont conçus à partir d’un postulat déterministe totalement intenable.
Ce ne sont que de « simples êtres de raison », fabriqués (voire « co-fabriqués » par la seule raison, en dehors de toute expérience indépendante qui en légitimerait la croyance en leur véritable existence) et auxquels on a doté d'une façon arbitraire relevant plus du mysticisme que de la Science, leur propres « intelligences ».
(Patrice Van den Reysen. Tous droits réservés).
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