samedi 10 avril 2021

Karl POPPER. L’échec (complet) du « déterminisme scientifique ». Et, sur les “horloges et les nuages”...

 

 


 

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Nous ne saurions que trop conseiller au lecteur de ce qui va suivre de lire également tout ce qui précède de l’extrait que nous avons tiré d’un des plus fameux livre de Karl Popper, “L’univers irrésolu. Plaidoyer pour l’indéterminisme”, mais aussi,... tout ce qui suit, tant son contenu est clair, et les démonstrations toutes aussi magistrales qu’indiscutables les unes que les autres. Ceux qui ont connaissance des prétentions déterministes effarantes de la psychanalyse (disons plutôt : délirantes...), décèleront sans aucune peine dans les arguments de Karl Popper une dévastation sans appel de tout le projet pseudo-scientifique et thérapeutique de la psychanalyse...

 

En effet, avec son postulat d’un déterminisme psychique inconscient prima faciae absolu et excluant tout hasard et tout non-sens, les psychanalystes refusent toujours d’admettre que ce même postulat fait de l’âme humaine un univers aussi facilement prédictible que l’univers des horloges, et même plus, (puisque la précision d’une horloge peut dans le temps être altérée), un univers encore plus “laplacien” que la métaphysique du Démon qu’imaginait Pierre Simon Laplace

 

Mais citons Pierre-Henri Castel, psychanalyste lacanien, qui est selon nous l’un des très rares psychanalystes à avoir reconnu cette faiblesse rédhibitoire dans le projet (pseudo) scientifique et thérapeutique de la psychanalyse : 

 

“Mais quels que soient les aspects étranges que présentent les actes manqués et leurs corrélats, il reste que le déterminisme psychique qu'ils illustrent, s'étendant à tant de manifestations différentes, paraît changer de nature. Il se métamorphose en principe métaphysique. Car pour la science, on l'a dit, il se résume à affirmer que si tel phénomène est donné, alors tel autre suit, selon telle loi. Son expression est donc conditionnelle. En outre, la nécessité de l'enchaînement est manifestement une nécessité pensée, et introduite du dehors dans les phénomènes par le jeu des hypothèses et de leurs confirmations empiriques. Mais que se passe-t-il, quand rien n'échappe, dans le réel même des connexions mentales, aux lois d'un inconscient déterministe ? La conditionnalité de l'enchaînement disparaît : tout est déterminé de façon fatale, au sens où la succession des causes et des effets ne peut nulle part être réorientée dans un sens ou dans un autre. Notre sentiment de spontanéité ne pèse alors pas plus lourd, selon le mot de Kant, que l'opinion d'un tourne-broche sur sa liberté d'action. Il est difficile, ainsi, de concilier l'ambition déterministe, donc la réalité de lois causales contraignantes dans la vie psychique (y compris dans ses manifestations ordinairement considérées comme contingentes), et l'idée d'une guérison de la névrose qui remettrait entre les mains du malade quelque chose, un mécanisme sur lequel il pourrait agir, en opérant les choix (moraux ou esthétiques) dont Freud parlait la veille.”


Mais ne nous trompons pas sur les termes. Ce que Popper dénomme le “déterminisme scientifique” est donc bien ce genre de déterminisme qui se propose de faire des prédictions sur la base de n’importe quel degré de précision stipulé à l’avance. 

 

Une question demeure : quand est-ce que la France aura pris toute la mesure de cet immense philosophe des sciences et épistémologue, sur lequel Peter Medawar, (notamment), Prix Nobel de Médecine, dira : “Karl Popper est le plus grand philosophe des sciences de tous les temps” ? Et pour notre modeste part, nous n’hésiterons pas à affirmer que Karl Popper fait partie des philosophes les plus importants de l’Histoire, étant donné la valeur des éclaircissements et les voies de solutions qu’il a apporté au problème qui restera le plus fondamental pour l’humanité : la question de la méthode et de son évaluation, mais également et de façon plus large, la question de l’heuristique (la découverte), et, par voie de conséquence, celle de la Science : les conditions d’identification de la validité de ses hypothèses, de ses méthodes et de ses résultats. Nous pouvons donc considérer, sans exagération, que Karl Popper est le continuateur des génies pré-socratiques, puis de Socrate, de David Hume, et d’Emmanuel Kant, pas moins. Nous aurons toujours besoin de lui.


Nous vous souhaitons une bonne lecture.

 

 

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« Le principe de « responsabilité ». 

 

Le résultat d’un calcul ne sera pas, en règle générale, plus précis que la moins précise des données. De même, une prédiction ne sera pas, en règle générale, plus précise que l’une quelconque des conditions initiales sur lesquelles elle est basée. Si bien que pour satisfaire à l’exigence qui veut qu’il soit toujours possible de rendre nos prédictions précises au degré de précision voulu, il faudra également pouvoir, en règle générale, augmenter la précision des conditions initiales en question autant qu’on le voudra. Les conditions initiales devront être suffisamment précises pour qu’on puisse résoudre le problème posé par le projet de prédiction.

 

Dans la recherche d’une définition du déterminisme « scientifique », ce serait à l’évidence trop vague d’exiger que l’on parvienne à prédire avec un quelconque degré de précision stipulé, à condition de pouvoir s’appuyer sur des conditions initiales « suffisamment précises ». Formulée de cette manière, la définition serait triviale. En effet, l’on pourrait toujours affirmer y avoir satisfait, tout en échouant de façon systématique dans la déduction des prédictions, en faisant valoir que les conditions initiales n’étaient pas « suffisamment précises ». Afin de remédier à cette situation, il nous faut exiger qu’on puisse déterminer si les conditions initiales sont suffisamment précises ou non avant même de tester les résultats de nos prédictions. En d’autres termes, il faut pouvoir déterminer à l’avance, en partant du projet de prédiction (lequel doit énoncer, entre autres, le degré de précision requis de la prédiction), et en conjonction avec la théorie, le degré de précision des conditions initiales ou des données nécessaires afin que puisse se réaliser le projet de prédiction en question. 

 

Pour le formuler d’une manière plus complète, nous dirions qu’il faut pouvoir rendre compte par avance de tout échec de la prédiction d’un événement avec le degré de précision voulu ; et cela, en montrant que nos conditions initiales ne sont pas suffisamment précises, et en établissant le degré de précision qu’elles devraient avoir pour que cette tâche de prédiction puisse être effectuée.

 

Si bien que toute définition du déterminisme « scientifique » devra nécessairement être fondée sur le principe suivant (c’est-à-dire, sur le principe de « responsabilité ») : nous pouvons calculer, en partant de notre projet de prédiction (en conjonction, bien sûr, avec nos théories), le degré de précision requis dans les conditions initiales.

 

Certains projets de prédiction satisfont au principe de « responsabilité », contrairement à d’autres. On dira d’une théorie qu’elle satisfait au principe de « responsabilité » lorsque les projets de prédiction qu’elle comporte font, en règle générale, de même.

 

Il peut être utile, dans certains cas, d’employer un « principe de responsabilité » renforcé en se référant à la précision des mesures possibles à partir desquelles peuvent se calculer les conditions initiales, plutôt qu’à la précision des conditions initiales. Ainsi, dans ce sens renforcé, un projet de prédiction peut ne pas être conforme au principe de « responsabilité » parce qu’on ne peut déterminer, en partant du projet (et de la théorie), le degré de précision requis dans les mesures possibles, mesures sur lesquelles seraient basées nos prédictions. Il est néanmoins concevable que le même projet de prédiction soit conforme au principe de « responsabilité » dans le sens le plus faible : nous serons capables de calculer le degré de précision nécessaire des conditions initiales pour qu’il puisse être résolu.

 

L’idée renforcée de la responsabilité est évidemment plus réaliste que l’autre. Une théorie qui serait conforme au principe de « responsabilité » au sens faible, mais non au sens renforcé, serait une théorie dont le caractère déterministe ne pourrait, en principe, être testé. On ne saurait donc l’invoquer pour appuyer le déterminisme « scientifique ». C’est-à-dire que, pour être plus précis, le déterminisme « scientifique » requiert le principe de « responsabilité » en son sens renforcé. Il n’empêche que, dans ce qui suit, ce sera toujours le principe de « responsabilité » au sens faible que j’aurai à l’esprit, les cas où je ferai spécialement allusion à la différence entre les deux sens mis à part. La raison en est que, si une théorie n’est pas conforme au principe de « responsabilité » au sens faible, elle ne le serait de toute évidence pas davantage au sens renforcé. En d’autres termes, la non- « responsabilité au sens faible implique la non-« responsabilité » au sens renforcé, ou est logiquement plus puissante que celui-ci.

 

Puisque le déterminisme « scientifique » implique le principe de « responsabilité », il suffirait d’un seul exemple d’un problème de prédiction, applicable à notre monde, et dont le caractère non conforme au principe de « responsabilité » serait assuré, pour que s’écroule cette doctrine. Cependant, même au cas où on ne pourrait alléguer un exemple indubitable de ce genre, il sera au moins devenu manifeste qu’il n’existe aucune raison de croire au déterminisme « scientifique » s’il s’avère que nous n’avons aucune raison de croire que les conditions établies par le principe de « responsabilité » sont universellement remplies.

Nous établirons ceci. Il est possible que notre connaissance d’un domaine aille toujours en s’accroissant, que nos prédictions s’y étendent toujours plus loin, et que celles-ci soient toujours plus précises. Cette augmentation perpétuelle de nos capacités de prédiction ne constitue pourtant pas nécessairement un argument valable à l’appui de la conviction que le déterminisme « scientifique » vaut pour ce domaine. Nos prédictions peuvent toujours aller en s’améliorant, alors même qu’elles sont élaborées au moyen de méthodes qui ne suggèrent même pas que l’on y satisfait au principe de « responsabilité ».

 

L’on traitera plus loin (au paragraphe 17) du problème de la « responsabilité » dans la physique classique. Il sera montré qu’il n’existe à peu près aucune raison de croire que cette dernière est conforme au principe de « responsabilité » au sens faible, et de fort bonnes raisons pour croire qu’elle ne l’est pas du tout au sens renforcé.

 

4. L’étude du comportement et le principe de « responsabilité ».

 

Examinons à présent un argument simple et pourtant très puissant en faveur du déterminisme.

 

Les partisans de l’indéterminisme ont parfois affirmé que les hommes, et peut-être, à un moindre degré, les animaux supérieurs, se comportent d’une manière fort éloignée de celle des systèmes planétaires et des horloges mécaniques. Pour valide que soit le déterminisme dans le domaine mécanique, il ne le serait pourtant pas dans celui de la biologie. A l’encontre de thèses de ce genre, certains partisans du déterminisme ont répliqué comme suit.

 

Il est indéniable que bien souvent l’on peut prédire, avec un succès d’ailleurs éclatant, aussi bien le comportement des animaux que celui des hommes. De plus, ces prédictions tendant à devenir progressivement meilleures, au fur et à mesure qu’augmente notre connaissance de l’homme ou des animaux. Et sans doute l’étude systématique de leur comportement y contribuerait encore puissamment. Il n’y a par ailleurs aucune raison de croire que ce progrès doive un jour atteindre une limite infranchissable. On peut par conséquent s’attendre à ce que l’étude des organismes parvienne aux mêmes résultats que celle de systèmes planétaires. On formulera cette conclusion en disant que les organismes supérieurs rentrent dans la catégorie des horloges. (Il importe peu que nous trouvions qu’elles ressemblent aux horloges mécaniques, ou davantage à un mécanisme électrique auto-régulateur.) On peut, à ce stade, négliger la question de savoir si les nuages rentrent eux aussi dans la catégorie des horloges.

 

Cet argument, que nous pouvons appeler « l’argument tiré de l’étude du comportement », relève du sens commun et est à mon avis d’un poids considérable. Mais il ne parvient pas à sa fin, pas même si l’on admettait, comme je suis disposé à le faire, qu’il n’existe aucune limite à l’amélioration possible, par l’étude de plus en plus approfondie, de nos prédictions à l’endroit du comportement animal et humain. Comme argument à l’appui du déterminisme, celui tiré de l’étude du comportement n’est tout simplement pas valide.

 

Pour s’en convaincre, il n’est besoin que de se référer au principe de « responsabilité ». Le déterminisme « scientifique » n’affirme pas seulement en effet que les prédictions peuvent être améliorées par une connaissance accrue. Il exige que l’on puisse calculer, à partir d’un projet de prédiction spécifié, le degré de précision nécessaire dans notre information de départ pour que le projet puisse être mené à bien.

 

Or, l’argument tiré de l’étude du comportement ne renferme rien qui puisse suggérer que l’amélioration de notre connaissance nous fera parvenir à satisfaire à ce principe. Il m’arrive d’avoir un assez grand degré de réussite dans mes prédictions sur le comportement de mon chat, qu’il saute sur mon bureau, et s’allonge sur mon bloc-notes, ou qu’il bondisse jusqu’au rebord de ma fenêtre, et de là dans le jardin. Et je ne cesse d’en apprendre sur son comportement : mais celui-ci consiste pour l’essentiel soit en : a) actions significatives (ou « dirigées vers un but »), soit b) habitudes, ou manières de procéder. L’étude de celles-ci pourra combler quelques lacunes dans les schémas très approximatifs de celles-là. Néanmoins, il y a bien des détails que je ne peux prédire : qu’il s’allongera sur mon bloc-notes par exemple. Ainsi, je peux facilement me tromper de plusieurs centimètres.

 

Rien dans ce contexte ne suggère comment ces détails pourraient venir s’ajouter au tableau. On peut sans doute toujours dire qu’une meilleure connaissance des conditions initiales appropriées réduirait les centimètres à souhait. Il reste que nous ne savons tout simplement pas quel genre de conditions initiales serait pertinent pour le projet de prédiction qui chercherait à réduire les centimètres. Il ne suffit donc pas de dire que nous n’avons aucune théorie qui satisfasse au principe de « responsabilité » : jusqu’à présent, nous n’avons même pas la moindre idée quant au côté vers lequel l’on devrait la chercher.

 

On objectera qu’une étude minutieuse du système nerveux, et du cerveau en particulier, serait d’un grand secours pour combler les lacunes de nos prédictions. Il se peut bien que ce soit exact, et je suis disposé à tenir, par hypothèse, cette idée pour juste. Mais dans ce cas, il faut renoncer à l’argument tiré de l’étude du comportement. Car l’on remplace l’argument du sens commun, selon lequel nous pouvons accroître indéfiniment notre connaissance par l’étude du comportement des animaux, par un argument tout à fait différent : celui qui affirme que la physiologie ou la physique sont des systèmes déterministes.

 

5. Températures critiques et le principe du tout-ou-rien.

 

A dire vrai, notre savoir en la matière est à ce point limité que nous ignorons complètement comment appliquer la somme considérable de connaissances que nous possédons sur la physiologie du cerveau, à supposer qu’on veuille prédire avec certitude la position de mon chat.

 

Admettons néanmoins que nous sachions faire usage de nos connaissances en matière de physiologie cérébrale. Supposons en particulier que ce qu’il faut connaître avant tout, ce sont les conditions initiales qui président à la contraction d’un muscle donné, ce qui nous permettra de la prédire et, en dernière instance, les conditions initiales nécessaires pour que la décharge nerveuse puisse se produire.

 

Or le processus de la décharge nerveuse est, à bien des égards, analogue à celui d’une explosion : la décharge nerveuse a lieu brusquement lorsque le potentiel électrique de la plaque terminale d’un neurone atteint un certain niveau, qui est le niveau critique, faute duquel la décharge n’a pas lieu. (Cette loi est connue sous le nom de « principe du tout-ou-rien »). Il en va de même des explosifs chimiques, qui ne peuvent éclater sans qu’une température donnée ne soit atteinte, en dessous de laquelle l’explosion est improbable, sinon impossible. Il n’est pas du tout certain, cependant, que le principe de « responsabilité » soit applicable à la température d’une explosion ; et, pour des raisons parfaitement analogues, qu’il le soit à la transmission nerveuse. Certes, si la température est inférieure à celle, critique, qui doit provoquer l’explosion, mais augmente de façon lente et régulière, on pourra prédire le moment de l’explosion. Pourtant, le principe de « responsabilité » exige que l’on puisse prédire le moment de l’explosion avec autant de précision qu’on voudra. 

 

Ceci même implique que nous soyons capables de prendre des mesures de la température, et de son taux d’accroissement, avec autant de précision qu’on le voudra. Mais la température est un effet de masse ; c’est un concept molaire, ou macroscopique. C’est essentiellement une moyenne. Et des concepts de ce genre ne se prêtent pas à un affinement illimité.

Pour résumer, on peut dire que le cerveau (qu’il amplifie par ailleurs les processus quantiques élémentaires ou non) est selon toute vraisemblance très sensible aux effets de masse, tels que la température ou la concentration de certains éléments chimiques. (C’est loin d’être surprenant, car nos mouvements musculaires sont des effets de masse, et dépendent pour une part d’autres effets de masse, parmi lesquels des « volées » d’impulsions nerveuses). Mais nous n’avons aucun indice, et pas l’ombre d’une piste, nous permettant d’affirmer que le principe de « responsabilité » peut être appliqué à ces effets de masse, ou nous disant, si c’est le cas, comment l’appliquer.

 

On remarquera à quel point nous nous sommes éloignés, chemin faisant, de l’argument du sens commun s’appuyant sur l’étude du comportement, et qu’en effet il n’y a rien, dans l’expérience courante de la progression de la connaissance du comportement, qui suggère la « responsabilité ».

 

De manière générale, nous pouvons dire que nos connaissances, et avec elles nos capacités de prédiction, ont beau augmenter régulièrement dans un domaine donné, on ne saurait se servir de ce fait par lui-même comme d’un argument à l’appui de la thèse que quelque chose d’approchant le déterminisme « scientifique » vaut pour lui. Car notre connaissance peut fort bien augmenter régulièrement sans pour autant se rapprocher de cette connaissance d’un genre très spécial qui satisfait au principe de « responsabilité ».

 

6. Les horloges et les nuages.

 

Puisque j’ai dû faire référence aux effets de masse, peut-être est-ce le moment d’avancer la critique de l’argument mentionné au paragraphe 1, proposé par les partisans du déterminisme, à savoir celui des horloges et des nuages. Il s’agit de l’argument selon lequel la distinction, opérée par le sens commun, entre les événements prédictibles (le mouvement des planètes, ou celui des horloges) et les événements imprédictibles (le temps, ou le mouvement des nuages) n’est pas valide ; et, selon lequel de plus, cette distinction disparaîtra lorsque nous parviendrons au même degré de connaissance à l’endroit des nuages – de leurs lois et de leurs conditions initiales précises – que celui que nous possédons en ce qui concerne les horloges.

 

Cet argument ne manque pas de plausibilité, l’exemple des planètes le montre assez. La connaissance accrue et détaillée des nuages pourrait en effet grandement faciliter leur assimilation à des événements de la catégorie des horloges. Mais puisqu’il y est toujours question d’effets de masse, l’assimilation ne peut réussir entièrement.

 

Qui plus est, l’on peut inverser la perspective. La prédiction de plus en plus détaillée de la marche des horloges entraînera l’étude, par exemple, de la diffusion de la chaleur dans les horloges (afin de découvrir, disons, son effet sur la longueur du pendule). Mais cette étude minutieuse entraînera inéluctablement l’assimilation de l’horloge à un nuage de molécules, dont le mouvement est d’un genre qui présente les mêmes problèmes de prédiction que celui d’un nuage. De la sorte, l’argument selon lequel l’accroissement de notre connaissance rapprochera insensiblement la catégorie des nuages et celle des horloges, pour convaincant qu’il soit, ne peut pas moins être contredit en faisant remarquer que le contraire est également vrai.

 

On entend souvent dire que deux horloges parfaitement semblables indiqueront la même heure, et continueront à le faire. Cela se peut, mais la question est accessoire, puisque nous ne disposons jamais de deux horloges identiques en tous points. Et deux horloges, ou montres, fabriquées en série et d’apparence parfaitement semblables n’indiqueront pas, en règle générale, la même heure indéfiniment. C’est pour cela qu’elles sont construites de manière à ce que l’on puisse les ajuster au moyen d’un mécanisme régulateur. Une fois l’ajustement effectué, elles pourront fort bien indiquer la même heure ; mais elles n’auront plus le même aspect. Une composante très importante d’un point de vue mécanique – le mécanisme régulateur – pourra désormais présenter une différence sensible. Celle-ci dut être introduite afin de rendre la ressemblance des deux horloges plus grande, mais à un autre égard – à savoir leur exactitude à marquer le temps. Ceci suffit pour montrer à quel point les similitudes superficielles peuvent être trompeuses.

 

Si une horloge retarde, un horloger compétent saura en trouver la cause – un grain de poussière dans le mécanisme, peut-être. C’est un exemple intéressant parce que, bien qu’il soit en conformité avec la loi de causalité universelle, il ne satisfait évidemment pas au principe de « responsabilité ». Aucun horloger ne pourrait prédire, en scrutant le grain de poussière, qu’il serait la cause d’un retard de trois plutôt que de cinq minutes par jour. Il lui serait tout aussi impossible de prédire si l’horloge aura besoin d’un réglage supplémentaire, une fois le grain de poussière enlevé. »

 

(In : Karl POPPER. « L’univers irrésolu. Plaidoyer pour l’indéterminisme ». Editions Hermann, Paris, 1984, pages : 10 – 17).

 

 


 


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