jeudi 15 juillet 2021

Edgar MORIN, récalcitrant très éclairé, et le nouveau totalitarisme. (Patrice Van den Reysen).

 

 


 

 
« Nous voyons aujourd'hui s'installer les éléments d'un totalitarisme. Celui-ci n'a plus rien à voir avec celui du siècle dernier. Mais nous avons tous les moyens de surveillance de drones, de téléphones portables, de reconnaissance faciale. Il y a tous les moyens pour surgir un totalitarisme de surveillance. Le problème est d'empêcher ces éléments de se réunir pour créer une société totalitaire et invivable pour nous. À la veille de mes 100 ans, que puis-je souhaiter ? Je souhaite force, courage et lucidité. Nous avons besoin de vivre dans des petites oasis de vie et de fraternité. »  (Edgar Morin).

 
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Tout à fait d'accord avec Edgar Morin. C'est un genre nouveau de totalitarisme, quoiqu'il conserve certains points communs avec ceux déjà connus dans l'Histoire... 

Je penche pour le qualifier de "totalitarisme sophistiqué" : il s'agit d'un autre contrôle des médias et de l'information ; il s'agit d'une autre forme de propagande. 

Mais c'est pratiquement la même utilisation de la stratégie de la peur, de la sidération et de la soumission des consciences. C'est aussi la même stratégie de diabolisation de "l'ennemi", et aujourd'hui, l'un des ennemis privilégiés de ce nouveau totalitarisme, c'est... le complotisme ! A travers la lutte contre lui, c'est la liberté de penser et d'expression qui est visée. C'est donc une nouvelle "police de la pensée" qui est à l'oeuvre ...

Cependant, comme les autres formes de totalitarisme, il contient donc  toujours les mêmes ingrédients idéologiques, mais sous des formes sophistiquées : la résurgence de l'historicisme, (par les modèles mathématiques de prédiction de l'avenir...), de l'irrationalisme (notamment, par cette lutte rageuse contre la liberté d'expression, via la lutte contre toutes les formes de complotisme, y compris le "complotisme éclairé"..), tout cela fondé sur une résurgence de la croyance en un déterminisme strict.



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Face à ce renouveau de la menace totalitaire, la citoyenneté doit donc apprendre, se former et s'adapter, et aussi être capable de bien mieux partager, communiquer et évaluer de manière critique le savoir

En d'autres termes, l'usage du rationalisme critique doit être beaucoup plus généralisé, popularisé, et franchir un palier très significatif d'un point de vue qualitatif

En tant qu'enseignant, nous voyons là l'enjeu majeur pour l'Ecole d'aujourd'hui et de demain : le citoyen de demain sera apte à discerner le vrai du faux, le scientifique du pseudo-scientifique comme jamais auparavant, 
ou il ne sera plus...

 
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Quelle est la clé ? 

Là encore, c'est toujours la même : la capacité à faire usage de son indépendance d'esprit, et du rationalisme critique. Mais sur la base de quoi et dans quel but ? Sur la base du seul outil intellectuel garantissant la rigueur dans la recherche de la Vérité : l'épistémologie fondée sur la logique. Le but est donc, pour le citoyen, "de ne pas perdre le Nord", de garder "la tête froide", et de savoir s'orienter, orienter ses décisions, grâce à l'épistémologie. Voilà un nouveau défi citoyen. Un vrai défi pour notre temps, face aux "Princes" qui nous gouvernent, lesquels sont hégéliens pour la plupart d'entre eux...

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"Heureusement", si j'ose dire, le pire n'est pas encore là. Le pire, ce serait l'installation d'une tyrannie. Egalement, d'une nouvelle forme de tyrannie. Son point d'entrée serait gravissime : 
 

la séquestration totale de la formation et de l'information scientifique par quelques oligarques ou des gouvernants soumis à leur botte (c'était peut-être l'un des objectifs du "Conseil de Défense" ?). 
 

Ensuite, séquestration totale également des autres formes de connaissance : logique, mathématiques, philosophie, littérature, arts... Et enfin, l'éducation : elle disparaîtrait pour les gens ordinaires et ne serait plus réservée qu'à une élite, ou serait réduite à la portion congrue : que le peuple ait juste les compétences requises pour entendre les messages du pouvoir et mettre en oeuvre toutes ses injonctions sans aucune forme de protestation ni d'esprit critique. En effet, la bête noire de tous les dictateurs et autres tyrans reste l'indépendance d'esprit capable de faire usage du rationalisme critique. Les gens ordinaires deviendraient peu à peu comme des animaux, dont la seule fonction serait de travailler pour les seuls besoins des dominants, et, une fois les objectifs de l'oligarchie accomplis, ils seraient éliminés, jugés indignes de l'Histoire...

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Notre société dépend presque exclusivement du progrès scientifique. Ensuite, imaginez que toutes les connaissances scientifiques, la Science elle-même, soit entièrement contrôlée, dans ses méthodes et dans ses publications et que même la formation soit contrôlée, entièrement, pour ne servir que (...) les intérêts du "Prince" et/ou ceux d'une oligarchie. Je pense que vous avez compris : rien de pire qu'une telle situation ne pourrait nous arriver, parce que nous vivons au 21° siècle : notre rapport aux sciences et à tout ce qu'elles permettent a bien entendu évolué dans des proportions considérables et dans de très nombreux domaines, si l'on compare, par exemple, au 19° siècle, c'est évident. 

Notre dépendance aux sciences est donc quasi-total, bien que la Science ne puisse jamais exercer d'elle même un contrôle totalitaire des populations, mais ait vocation du contraire ! En toute logique, aucune science ne peut servir un contrôle totalitaire, entendu qu'une science digne de ce nom est toujours faillible, réfutable, donc incertaine, et que le chef totalitaire, lui (comme le sorcier d'une tribu, garant de sa sécurité par les mythes qu'il comprend et autres rites sacrés que personne ne peut contester sous peine d'être exclu), a besoin que toute la population croit en des lois du destin qui seraient inéluctables au point que toute contestation, toute tentative de mise en lumière de leur faillibilité ou de leur fausseté doit être ostracisée, ou  criminalisée par lui, ou encore psychiatrisée. Par nature, la Science authentique s'oppose donc au totalitarisme, parce qu'elle s'oppose à la perception d'un monde qui serait protégé de tout changement, c'est-à-dire à ce que Popper nommait la "société close".
 
A l'opposé, les pseudo-sciences en ce qu'elles possèdent d'irréfutable, soit dans leur contenu, soit dans les stratagèmes d'immunisation contre la critique utilisés par leurs promoteurs, ou parce qu'elles promeuvent des postulats qui vont trop loin dans l'idéologie déterministe et historiciste, (comme la psychanalyse), peuvent toujours servir directement les intérêts du chef totalitaire. Mais..

... Mais tout dépend de ce que certains hommes comptent faire des méthodes et des résultats de la Science et des informations qu'elle peut fournir ! Tout est là. (Un exemple ? Trofim Lyssenko en URSS, mais il y en a d'autres...).
 
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Le prochain tyran qui voudra contrôler la société, voire au-delà, sera obligé de contrôler toute (...) la Science, (et il s'en donnera les moyens) ; de la réserver à son seul profit ou à ceux de quelques "dominants", choisis, sélectionnés, triés sur le volet... 

Les autres, les gens ordinaires, ou les "simples formes vivantes" que nous sommes pour nos chefs hégéliens, n'auront plus accès, ni à la formation, ni à l'information scientifique, en aucun cas, sous aucune forme que ce soit (il sera, par exemple, impossible de chercher un article scientifique sur Internet, pour le commun des mortels, cet accès sera exclusivement réservé à une élite ; et par dessus tout, l'accès à l'épistémologie sera soumis à des mesures restrictives encore plus sévères et menaçantes, puisque seule l'épistémologie permet de comprendre et de juger de la valeur objective, scientifique, des hypothèses, des méthodes et des résultats de toute science et même plus : de toute forme de connaissance qui prétende à l'objectivité, à l'universalité). 

Pour le prochain tyran, l'objectif premier sera donc de priver le peuple de toute possibilité d'autonomie décisionnaire sur la plan intellectuel et cela, jusqu'à tenter de contrôler sa pensée, soit par un usage totalitaire et monstrueux de la psychologie, soit par les technologies de pointe, ou peut-être même les deux... (C'est d'ailleurs ce que nous avons imaginé dans notre roman de science-fiction : "HOAG. Un témoignage du futur". Editions Vérone).

Dans cette mesure, nous serions alors vraiment un véritable troupeau contrôlable à volonté ou presque, s'il n'y avait ce qui demeurera toujours impossible à contrôler en totalité : l'indéterminisme lié au facteur humain et à la Nature...

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Il y a quelques décennies, le fusil Kalachnikov symbolisait l'arme des peuples en révolte contre les dictatures. Il se pourrait bien que ce soit l'oeuvre de Popper qui constitue la "nouvelle Kalachnikov"...  (Tout le monde devrait en avoir une, chez soi...).

(Patrice Van den Reysen. Tous droits réservés).


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Ecoutons Idriss Aberkane : 




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Mon roman, "HOAG, un témoignage du futur":















 

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Psychanalystes, dehors ! Et, pour vivre heureux, vivons cachés.

Les années 2020 seront celles de l'avènement d'une nouvelle forme de totalitarisme : le totalitarisme sophistiqué dont l'un des traits les plus marquants est cette lutte, cette haine tout à fait scandaleuse et révoltante contre la liberté d'expression, via un combat acharné contre ce qui est nommé le "conspirationnisme" ou le "complotisme".

Les années 2020 seront sans doute identifiées dans l'Histoire comme une "période charnière" entre la fin d'un "ancien monde" et la naissance d'un "nouveau" dont les prémices se révèlent de plus en plus menaçants pour les libertés individuelles.

Nous estimons qu'il est pertinent, plus que jamais, de citer Antonio Gramsci :

"Le vieux monde se meurt, le nouveau est lent à apparaître. Et c'est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres".

Mais citons Karl Popper : "L'optimisme est toujours de rigueur".

Et nous-mêmes : "Restons citoyens, restons vigilants, mais, renonçons à la violence et à l'intolérance. Travaillons à sauvegarder la citoyenneté, à en améliorer le contenu et les pouvoirs, les libertés autant que les responsabilités".

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