« Il est une doctrine qui est presque devenue un préjugé, bien qu’elle ait fait récemment l’objet d’une critique sévère ; il s’agit de la doctrine selon laquelle les événements observables doivent être expliqués comme des macro-événements, c’est-à-dire comme des moyennes, des accumulations ou des sommes de micro-événements. (Cette doctrine ressemble un peu à certaines formes de matérialisme.) Comme d’autres doctrines de ce genre, celle-ci semble être l’hypothèse métaphysique d’une règle méthodologique tout à fait incontestable. Je songe à la règle selon laquelle nous devrions toujours voir si nous pouvons simplifier, généraliser, ou unifier nos théories en utilisant des hypothèses expliquant des effets observables comme des sommes ou des intégrations de micro-événements). Ce serait une erreur de penser, en estimant le succès de tentatives de ce genre, que des hypothèses non statistiques relatives aux micro-événements et à leur lois d’interactions pourraient un jour suffire à expliquer les macro-événements. Car des évaluations hypothétiques de fréquence nous seraient en outre nécessaires, puisque des conclusions statistiques ne peuvent dériver que de prémisses statistiques. Ces évaluations de fréquence sont toujours des hypothèses indépendantes qui peuvent parfois nous venir effectivement à l’esprit alors que nous sommes engagés dans l’étude de lois relatives à des micros-événements mais qui ne peuvent jamais dériver de ces lois. Les évaluations de fréquence constituent une classe particulière d’hypothèses : il s’agit d’interdictions qui concernent, en quelque sorte, des régularités dans le grand nombre. Von Mises a énoncé ceci très clairement : « Pas même le plus petit théorème de la théorie cinétique des gaz ne dérive de la seule physique classique : il y a toujours, en outre, une hypothèse d’espèce statistique. »
Les évaluations statistiques – ou énoncé de fréquence – ne peuvent jamais être simplement déduites de lois de type « déterministe » car, pour déduire une prévision quelconque à partir de ces lois, des conditions initiales sont requises. A leur place, des hypothèses relatives à la distribution statistique de conditions initiales – c’est-à-dire des hypothèses statistiques spécifiques – entrent dans toute déduction qui donne des lois statistiques à partir de micro-hypothèses de caractère déterministe ou « précis ».
Il est frappant que les hypothèses de fréquence de la physique théorique sont dans une large mesure des hypothèses de chances égales mais ceci n’implique d’aucune façon qu’elles sont « évidentes en soi » ou valides a priori. Comme on peut le voir, elles sont loin de l’être si l’on considère les larges différences existant entre les statistiques classiques, celles de Bose-Einstein, et celles de Fermi-Dirac. Celles-ci nous montrent comment des hypothèses particulières peuvent être combinées avec une hypothèses de chances égales, pour donner dans chaque cas des définitions différentes des suites de référence et des propriétés primaires à propos desquelles l’hypothèse de distribution égale a été énoncée.
L’exemple suivant illustrera peut-être le fait que des hypothèses relatives à des fréquences sont indispensables même quand nous pouvons être enclins à nous en passer.
Imaginez une chute d’eau. Nous pouvons y discerner une espèce singulière de régularité : le volume des courants constituant la chute varie et de temps en temps une éclaboussure est rejetée du flot principal ; pourtant dans toutes ces variations apparaît une certaine régularité qui suggère nettement un effet statistique. Si l’on ne tient pas compte des problèmes non résolus de l’hydrodynamique (relatifs à la formation de tourbillons, etc…), nous pouvons en principe prédire le parcours d’un volume d’eau quelconque – disons d’un groupe d’individus – avec n’importe quel degré de précision désiré, si des conditions initiales suffisamment précises nous sont données. Nous pouvons donc supposer qu’il serait possible de prédire pour tout molécule, bien en amont de la chute, à quel point elle en passera le bord, quand elle en atteindra le fond, etc. L’on peut, en principe, calculer de cette manière le parcours d’un nombre quelconque de particules ; et, si l’on nous donne des conditions initiales suffisantes nous devrions, en principe, être en mesure de déduire n’importe quelle variation statistique individuelle de la chute d’eau. Mais nous n’obtiendrons ainsi que telle ou telle variation individuelle, non pas les régularités statistiques récurrentes que nous avons décrites et encore moins la distribution statistiques comme telle. Pour expliquer ces dernières, des évaluations statistiques nous sont nécessaires ou tout au moins la présupposition que certaines conditions initiales se reproduiront à plusieurs reprises pour un grand nombre de groupes de particules différents. (Ce qui équivaut à un énoncé universel.) Nous obtenons un résultat statistique si, et seulement si, nous faisons des hypothèses statistiques spécifiques du type des hypothèses relatives à la distribution des fréquences de conditions initiales récurrentes, par exemple. »
(In : Karl POPPER, « La logique de la découverte scientifique », éditions Payot, Paris, 1973, pages : 210 – 212).
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Psychanalystes, dehors ! Et, pour vivre heureux, vivons cachés.
Les années 2020 seront celles de l'avènement d'une nouvelle forme de totalitarisme : le totalitarisme sophistiqué dont l'un des traits les plus marquants est cette lutte, cette haine tout à fait scandaleuse et révoltante contre la liberté d'expression, via un combat acharné contre ce qui est nommé le "conspirationnisme" ou le "complotisme".
Les années 2020 seront sans doute identifiées dans l'Histoire comme une "période charnière" entre la fin d'un "ancien monde" et la naissance d'un "nouveau" dont les prémices se révèlent de plus en plus menaçants pour les libertés individuelles.
Nous estimons qu'il est pertinent, plus que jamais, de citer Antonio Gramsci :
"Le vieux monde se meurt, le nouveau est lent à apparaître. Et c'est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres".
Mais citons Karl Popper : "L'optimisme est toujours de rigueur".
Et nous-mêmes : "Restons citoyens, restons vigilants, mais, renonçons à la violence et à l'intolérance. Travaillons à sauvegarder la citoyenneté, à en améliorer le contenu et les pouvoirs, les libertés autant que les responsabilités".