lundi 1 mai 2017

Karl POPPER. De l'égalité devant la loi.



"Qu'il existe entre les hommes des inégalités de fait n'est pas niable, et on peut même se demander si, à certains égards, ces inégalités ne sont pas souhaitables. Mais, cette constatation faite, la question demeure entière de savoir s'il ne convient pas, singulièrement en matière politique, de traiter les hommes en égaux, jouissant des mêmes droits et ayant vocation à l'égalité de traitement. L'égalité devant la loi n'est pas un fait, mais une exigence politique fondée sur une décision morale, et elle est sans rapport avec le principe, probablement faux, selon lequel tous les hommes sont nés égaux. Cette attitude ne découle pas nécessairement de notre option en faveur du rationalisme, mais elle est conforme à son esprit et à son sens. Je n'en déduis pas qu'il soit logiquement interdit à un irrationaliste d'avoir une position égalitaire, mais je soutiens qu'il lui sera, en fait, bien difficile de ne pas tomber dans l'antiégalitarisme, en raison même de la place accordée aux émotions dans son système, et au fait qu'on ne peut éprouver les mêmes sentiments à l'égard de tout le monde. Il y aura toujours, parmi nos semblables, ceux qui nous sont proches et ceux qui nous sont étrangers, nos amis et nos ennemis. Même un bon chrétien aura bien du mal à se plier au commandement qui lui enjoint d'aimer son ennemi. L'amour abstrait du prochain n'existe guère. On ne peut vraiment aimer que ceux qu'on connaît. C'est pourquoi l'appel aux émotions, fussent-elles les plus élevées, nous amène toujours à répartir les humains en différentes catégories. Il en serait ainsi, à plus forte raison, si cet appel s'adresse à des sentiments moins nobles. En dernière analyse, notre réaction sera de classer les humains, en distinguant les membres de notre clan ou de notre communauté spirituelle et ceux qui n'y appartiennent pas, entre croyants et incroyants, concitoyens et étrangers camarades et ennemis de classe, dirigeants et dirigés".

(Karl Popper. In : "La société ouverte et ses ennemis". Tome 2. "Hegel et Marx". Traduit de l'anglais par Jacqueline Bernard et Philippe Monod. Editions du Seuil, Paris, 1979, page : 159 - 160).




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