Cher(e)s récalcitrant(e)s,
Voilà le texte de Karl Popper qui signe l'arrêt de mort de tout espoir d'accéder à la certitude pour l'être humain, dans tous les types de projet de description de la Nature qu'il pourrait formuler.
Il constitue également l'arrêt de mort de tout déterminisme absolu, qu'il soit prima faciae ou post faciae, et ce, sans aucun espoir de résurrection. Sans oublier celui du positivisme logique, et du "falsificationnisme naïf", lequel consistait à croire qu'une théorie pouvait être réfutée avec certitude, chose que n'a jamais admise Karl Popper.
*
« (…) Supposons que les conséquences de deux théories
diffèrent très peu dans tous leurs champs d’application et qu’en raison de
l’insuffisance de la précision atteinte par nos mesures nous ne puissions
détecter les très petites différences que donnent les calculs des événements
observables auxquels elles se rapportent. Il sera dès lors impossible que
l’expérience décide en faveur de l’une des deux théories si l’on n’améliore pas
d’abord la technique de mesure.
Ceci montre que la technique courante de mesure détermine un
certain domaine, une région, où des divergences entre les observations sont
permises par la théorie.
C’est ainsi que la règle selon laquelle les théories
devraient avoir le degré de falsifiabilité le plus élevé possible (et par
conséquent le plus étroit possible) entraîne la recherche de mesures aussi
précises que possible.
L’on dit souvent que toute mesure consiste à déterminer des
coïncidences de points. Mais toute détermination de ce type ne peut être exacte
que dans certaines limites. Il n’y a pas de coïncidences de points au sens
strict. Deux « points » physiques, disons un trait sur une règle et
un autre sur le corps à mesurer, peuvent au mieux être étroitement rapprochés.
Ils ne peuvent coïncider, c’est-à-dire se fondre en un point. Si banale que puisse être cette remarque dans un autre
contexte, elle est importante pour la question de la précision des mesures.
Elle nous rappelle, en effet, qu’il conviendrait de décrire une mesure dans les
termes suivants : nous constatons que le point du corps à mesurer se situe
entre deux graduations ou marques sur
la règle ou encore, que l’aiguille de notre appareil de mesure se situe entre deux graduations sur le cadran.
Nous pouvons alors, soit considérer ces graduations ou marques comme nos deux
limites optimales d’erreur, soit commencer à estimer, par exemple, la position
de l’aiguille dans l’intervalle entre les graduations afin d’obtenir ainsi un
résultat plus précis. Dans ce cas, nous supposons que l’aiguille se situe entre
deux graduations imaginaires. Il reste donc toujours un intervalle, un écart.
Les physiciens ont l’habitude d’évaluer cet intervalle pour toute mesure. (…).
Mais ceci soulève un problème. Quel avantage peut-il y avoir à remplacer en
quelque sorte une graduation sur un cadran par deux graduations – les deux limites de l’intervalle – quand pour
chacune de ces limites doit de nouveau se poser la question de savoir quelles
en sont les limites de précision ?
Il est clair qu’il est inutile de donner les limites de
l’intervalle si ces deux bornes ne peuvent à leur tour être fixées avec un
degré de précision excédant largement celui que nous pouvons espérer atteindre
pour la mesure initiale ; entendons : fixées dans leurs propres
intervalles d’imprécision qui devraient en conséquence être de plusieurs ordres
de grandeur plus petits que l’intervalle qu’elles déterminent pour l’évaluation
de la mesure primitive. En d’autres termes, les limites de l’intervalle ne sont
pas des limites précises ; ce sont en réalité de très petits intervalles
dont les limites sont à leur tour des intervalles plus petits encore et ainsi
de suite. C’est ainsi que nous parvenons à la notion qu’on peut appeler des
« limites imprécises » ou « limites de condensation » de
l’intervalle.
Ces considérations ne présupposent ni la théorie
mathématique des erreurs, ni la théorie de la probabilité. C’est plutôt le
contraire : l’analyse de la notion de mesure d’un intervalle fournit une
base sans laquelle la théorie statistique des erreurs aurait très peu de sens.
Si nous mesurons une grandeur un grand nombre de fois, nous obtenons une série
de valeurs de densités diverses distribuées sur un intervalle :
l’intervalle de précision dépendant de la technique de mesure en cours. C’est
seulement si nous savons ce que nous recherchons – à savoir les limites de
condensation de cet intervalle – qu’il nous est possible d’appliquer à ces valeurs
la théorie des erreurs et de déterminer les limites de l’intervalle.
Tout ceci éclaire, à mon avis, le fait de la supériorité des méthodes qui utilisent la
mesure sur les méthodes purement qualitatives. Il est vrai que même dans le
cas d’évaluations quantitatives, telle l’estimation du degré de hauteur d’un
son musical, il est parfois possible de donner un intervalle d’exactitude.
Mais, en l’absence de mesure, un intervalle de ce type ne peut être que très
imprécis, puisque le concept de limites de condensation est inapplicable à de
tels cas. Ce concept n’est applicable que lorsque nous parlons d’ordre de
grandeur et donc lorsque des méthodes de mesure sont définies. (…).
Karl R. Popper. « La
logique de la découverte scientifique ». Préface de Jacques Monod., Edition
Payot, Paris, 1973. Section 37 : « Domaines logiques. Notes sur la
théorie de la mesure ». Pages : 124 – 126).
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Psychanalystes, dehors ! Et, pour vivre heureux, vivons cachés.
Les années 2020 seront celles de l'avènement d'une nouvelle forme de totalitarisme : le totalitarisme sophistiqué dont l'un des traits les plus marquants est cette lutte, cette haine tout à fait scandaleuse et révoltante contre la liberté d'expression, via un combat acharné contre ce qui est nommé le "conspirationnisme" ou le "complotisme".
Les années 2020 seront sans doute identifiées dans l'Histoire comme une "période charnière" entre la fin d'un "ancien monde" et la naissance d'un "nouveau" dont les prémices se révèlent de plus en plus menaçants pour les libertés individuelles.
Nous estimons qu'il est pertinent, plus que jamais, de citer Antonio Gramsci :
"Le vieux monde se meurt, le nouveau est lent à apparaître. Et c'est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres".
Mais citons Karl Popper : "L'optimisme est toujours de rigueur".
Et nous-mêmes : "Restons citoyens, restons vigilants, mais, renonçons à la violence et à l'intolérance. Travaillons à sauvegarder la citoyenneté, à en améliorer le contenu et les pouvoirs, les libertés autant que les responsabilités".