« Il est extrêmement difficile d’apprécier objectivement l’influence de Freud. Il s’agit d’une histoire trop récente, déformée par des légendes et dont toutes les données n’ont pas encore été éclaircies.
L’opinion générale est que Freud a exercé une puissante influence, non seulement sur la psychologie et la psychiatrie, mais sur tous les domaines de la culture, et que cette influence a été profonde au point de transformer notre façon de vivre et nos conceptions sur l’homme. La question devient plus complexe et plus controversée dès qu’on cherche à établir jusqu’à quel point cette influence a été favorable ou non Nous avons d’un côté ceux qui voient en Freud l’un des libérateur de l’esprit humain et qui estiment même que l’avenir de l’humanité dépendra de son acceptation et de son refus des enseignements de la psychanalyse. A l’opposé se trouvent ceux qui affirment que les effets de la psychanalyse ont été désastreux. La Piere, par exemple, prétend que le freudisme a ruiné l’éthique de l’individualisme, la discipline de soi et le sens des responsabilités qui régissait le monde occidental.
Toute tentative de répondre objectivement à ces deux questions – la portée et la nature de l’influence de la psychanalyse – se heurte à trois grandes difficultés :
La première, comme dans le cas de Darwin, provient du fait que l’importance historique d’une théorie ne se réduit pas à sa signification originelle (celle de son auteur), mais exclut aussi les amplifications, les prolongements, les interprétations et les déformations de cette théorie. Aussi, pour apprécier l’influence de Freud, faudrait-il commencer par un historique de l’Ecole freudienne et des divers courants auxquels elle a donné naissance : les freudiens orthodoxes, les continuateurs plus originaux (par exemple les promoteurs de la psychanalyse du moi), les écoles dissidentes proprement dites avec leurs propres schismes et dissensions intérieures, et enfin les écoles (celles d’Adler et de Jung) qui reposent sur des principes radicalement différents, tout en s’étant constituées en réponse à la psychanalyse. Il faudrait encore tenir compte – et c’est au moins aussi important – des déformations et des idées pseudo-freudiennes largement répandues dans le public par les journaux, les revues et les ouvrages de vulgarisation.
La seconde difficulté, plus grave encore, vient de ce que la psychanalyse, dès ses origines, s’est développée dans une atmosphère de légende, si bien qu’une appréciation objective ne sera guère possible avant que l’on ait pu dégager les données authentiquement historiques de cette brume de légendes. Il serait d’un intérêt inestimable de découvrir le point de départ de la légende freudienne et d’analyser les facteurs qui ont permis son développement. Malheureusement l’étude scientifique des légendes, de leur structure thématique, de leur développement et de leurs causes reste l’une des provinces les moins explorées de la science, et jusqu’à ce jour rien n’a été publié sur Freud qui soit comparable à l’étude d’Etiemble sur la légende qui se développa autour du poète Rimbaud (On a maintenant le livre de Jacques Bénesteau : « Mensonges freudiens, histoire d’une désinformation séculaire »).
Un coup d’œil rapide sur la légende freudienne révèle deux traits essentiels. Le premier est le thème du héros solitaire, en butte à une armée d’ennemis, subissant, comme Hamlet, les « coups d’un destin outrageant », mais finissant par en triompher. La légende exagère considérablement la portée et le rôle de l’antisémitisme, de l’hostilité des milieux universitaires et des prétendus préjugés victoriens. En second lieu, la légende freudienne passes à peu près complètement sous silence le milieu scientifique et culturel dans lequel s’est développée la psychanalyse, d’où le thème de l’originalité absolue de toute ce qu’elle a apporté : on attribue ainsi au héros le mérite des contributions de ses prédécesseurs, de ses associés, de ses disciples, de ses rivaux et de ses contemporains en général.
La légende une fois dissipée, les faits nous apparaîtront dans une lumière assez différente. La carrière de Freud correspondra alors à la carrière habituelle d’un universitaire d’Europe centrale, carrière dont les débuts n’avaient été que légèrement entravés par l’antisémitisme, et sans plus de déconvenues que celles de bien d’autres. Il vivait à une époque où les polémiques scientifiques avaient un ton plus véhément que de nos jours, et il ne s’est jamais heurté à une hostilité aussi violente qu’un Pasteur ou un Ehrlich. La légende attribue d’autre part à Freud une bonne partie des découvertes d’autres savants, en particulier de Herbart, de Fechner, de Nietzsche, de Meynert, de Benedikt et de Janet, et elle sous-estime considérablement les travaux des explorateurs de l’inconscient, des rêves et de la pathologie sexuelle antérieurs à Freud. Une bonne partie des idées dont on attribue le mérite à Freud étaient des idées courantes, existant à l’état diffus ; son rôle consista essentiellement à cristalliser ces idées et à leur conférer une forme originale. »
(In : Henri ELLENBERGER. « Histoire de la découverte de l’inconscient ». Editions Fayard, Paris, 1970, pages : 586 – 588).
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Psychanalystes, dehors ! Et, pour vivre heureux, vivons cachés.
Les années 2020 seront celles de l'avènement d'une nouvelle forme de totalitarisme : le totalitarisme sophistiqué dont l'un des traits les plus marquants est cette lutte, cette haine tout à fait scandaleuse et révoltante contre la liberté d'expression, via un combat acharné contre ce qui est nommé le "conspirationnisme" ou le "complotisme".
Les années 2020 seront sans doute identifiées dans l'Histoire comme une "période charnière" entre la fin d'un "ancien monde" et la naissance d'un "nouveau" dont les prémices se révèlent de plus en plus menaçants pour les libertés individuelles.
Nous estimons qu'il est pertinent, plus que jamais, de citer Antonio Gramsci :
"Le vieux monde se meurt, le nouveau est lent à apparaître. Et c'est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres".
Mais citons Karl Popper : "L'optimisme est toujours de rigueur".
Et nous-mêmes : "Restons citoyens, restons vigilants, mais, renonçons à la violence et à l'intolérance. Travaillons à sauvegarder la citoyenneté, à en améliorer le contenu et les pouvoirs, les libertés autant que les responsabilités".