« (…) Freud a expliqué lui-même qu’il ne comprenait pas très bien pourquoi Breuer « avait tenu si longtemps secrète sa connaissance, qui me paraissait inestimable, au lieu de l’ajouter aux richesses de la science ». Ce que Freud ne comprenait tout simplement pas est le genre de scrupule qui empêchait Breuer de généraliser et de publier le plus vite possible ses résultats. « La question suivante, écrit-il, était de savoir si, on pouvait généraliser ce qu’il avait découvert sur un seul cas de maladie. L’état de choses qu’il avait mis au jour me paraissait de nature si fondamentale que je ne pouvais pas croire qu’il puisse se révéler absent dans un cas quelconque d’hystérie, une fois qu’il avait été démontré dans un seul cas. Mais c’est une chose qui ne pouvait être décidée que par l’expérience ». Une des caractéristique les plus constantes de la démarche de Freud est sa conviction remarquable qu’il peut être suffisant d’examiner un seul cas bien choisi ou un très petit nombre de cas pour accéder immédiatement à la connaissance de ce qui est fondamental et essentiel et qui doit nécessairement se retrouver dans tous les autres cas. Freud raisonne comme un homme qui est convaincu qu’une fois que l’on aura accepté la bonne explication (la sienne), on se rendra compte qu’il n’y a fondamentalement qu’une seule espèce d’hystérie, de rêve, de lapsus, de mot d’esprit, etc. Il se comporte donc, aux yeux de Wittgenstein, non pas comme le ferait un scientifique proprement dit, mais plutôt comme un philosophe qui est convaincu de devoir et de pouvoir expliquer les ressemblances qui existent entre une multitude de cas qui peuvent également, par ailleurs, être très différents les uns des autres, par la reconnaissance (ou plutôt la postulation) de l’existence d’un état de choses extrêmement général qui leur est commun à tous, mais qui est dissimulé à une certaine profondeur sous la diversité des apparences.
Il n’y a donc pas lieu d’être surpris de voir Wittgenstein comparer régulièrement les propositions universelles de la théorie freudienne non pas à des hypothèses scientifiques de l’espèce usuelle, qui demanderaient à être testées et confirmées, mais plutôt à des généralisation du genre de celles qui donnent naissance aux théories philosophiques les plus typiques :
« Lorsque, comme dans le cas de Freud, on s’empare d’une généralisation, et que maintenant la recherche se poursuit, des restrictions sont introduites. Les rêves ne sont pas seulement des réalisations de désir, ils sont fondamentalement ou quant à leur essence des réalisations de désir. Des classifications sont introduites. Il peut y avoir une réalisation de désir donc, pas tellement claire, obscure. La même chose avec l’hédonisme. Les plaisirs ne sont pas tous de la même espèce. Il y en a de supérieurs et d’inférieurs. (…) Nous ne désirons rien d’autre que le plaisir, mais il y a des qualités de plaisir » (Conversations 1949-1951, pp. 59-60).
Freud ne parvient tout simplement pas à envisager sérieusement la possibilité qu’il ait trouvé une explication satisfaisante pour une certaine espèce de rêve, mais pas pour tous les rêves. (…) ».
(In : Jacques BOUVERESSE. « Philosophie, mythologie et pseudo-science. Wittgenstein lecteur de Freud ». Éclat, Paris, mars 1991, pages : 57 – 58).
* * *
Commentaire :
Freud n'a jamais fait d'expérience où il a soumis ses théories à des tests indépendants. Il rejetait explicitement tous les témoins et la méthode expérimentale, comme la plupart des freudiens ou des lacaniens, encore aujourd'hui. Quand Freud parle "d'expérience", il veut dire les faits qui pourront encore être lus à la lumière de ses dogmes théoriques. Freud était un "pur scientiste", et un "pur positiviste" ; d'une part à cause de ses vues erronées sur le fonctionnement de la vraie science, et d'autre part parce qu'il croyait, comme le croyaient aussi les philosophes positivistes du Cercle de Vienne (dont Wittgenstein faisait partie..) que l'observation minutieuse de quelques cas bien choisis, permettait de "vérifier" une théorie générale, ce qui, comme le démontra Popper, est totalement impossible.
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Psychanalystes, dehors ! Et, pour vivre heureux, vivons cachés.
Les années 2020 seront celles de l'avènement d'une nouvelle forme de totalitarisme : le totalitarisme sophistiqué dont l'un des traits les plus marquants est cette lutte, cette haine tout à fait scandaleuse et révoltante contre la liberté d'expression, via un combat acharné contre ce qui est nommé le "conspirationnisme" ou le "complotisme".
Les années 2020 seront sans doute identifiées dans l'Histoire comme une "période charnière" entre la fin d'un "ancien monde" et la naissance d'un "nouveau" dont les prémices se révèlent de plus en plus menaçants pour les libertés individuelles.
Nous estimons qu'il est pertinent, plus que jamais, de citer Antonio Gramsci :
"Le vieux monde se meurt, le nouveau est lent à apparaître. Et c'est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres".
Mais citons Karl Popper : "L'optimisme est toujours de rigueur".
Et nous-mêmes : "Restons citoyens, restons vigilants, mais, renonçons à la violence et à l'intolérance. Travaillons à sauvegarder la citoyenneté, à en améliorer le contenu et les pouvoirs, les libertés autant que les responsabilités".